Publié le 8 octobre 2012 by Anthony Lozac’h
Dans un article intitulé « La menace des notes », publié dans un ouvrage collectif (L’évaluation, une menace ?, PUF, 2011), Fabrizio Butera, professeur de pyschologie sociale à l’université de Lausanne, démonte les mythes qui fondent la légitimité de l’évaluation chiffrée dans nos systèmes scolaires. Le chercheur précise bien, faisant la différence avec une évaluation critériée et formative, qu’il entend par note une évaluation normative, la plus utilisée dans notre système scolaire. Il place son intervention dans le débat sociétal que représente la notation des élèves. L’objet de l’article est d’examiner « quatre présupposés qui fondent l’argumentaire le plus souvent utilisé pour soutenir l’utilité des notes et de donner des indications quant aux résultats de la recherche scientifique qui existent à ce propos. »
Connaissez-vous ainsi les « quatre M du débat sur les notes » ? Fabrizio Butera conceptualise ainsi les arguments à déconstruire qui fondaient, jusque là, la légitimité de la note.
– Mesure : les notes contribuent à mesurer les apprentissages des élèves. Faux, les notes mesurent des performances, et dans des contextes donnés, donc avec relativité (voire les biais et effet de notation).
– Marché : les notes permettent de s’adapter au monde professionnel, au classement, elles familiarisent les élèves avec un système de récompenses et de punitions, de réussites et d’échec. Mais l’auteur montre que « l’incitation à la compétition amène les élèves à apprendre moins qu’on ne le pourrait et à développer des comportements antisociaux », comme la triche par exemple, qui se justifie par le fait que tout est bon pour réussir et obtenir les meilleures places ! Et ces comportements ont des chances de se reproduire plus tard dans le milieu professionnel. Pour l’auteur, « les notes reproduisent en classe le modèle d’une société libérale fondé sur la compétition ». C’est un « serpent qui se mord la queue ».
– Mérite : les notes symbolisent une justice distributive basée sur le mérite, qui permet de faire réussir les élèves en fonction uniquement de leurs résultats, et non de leur appartenance sociale. Mais, pour l’auteur, les conséquences de ce système sont paradoxales, faisant rentrer « par la porte de services les inégalités que la méritocratie voulait évacuer par la grande porte. » Les « études sur les effets des stéréotypes sur la performance ont montré que les formes d’évaluation qui rendent visibles les différences créent une menace pour les élèves appartenant aux groupes défavorisés. »
– Motivation : sans les notes, les élèves ne travailleraient pas. Mais, pas dans le sens attendu ! « Elles induisent plutôt des buts scolaires et académiques qui sont connus pour limiter la profondeur de l’investissement scolaire et la performance aux examens. »
En conclusion de cette étude basée sur les conclusions de la recherche, Fabrizio Butera introduit un cinquième M : la menace que constitue la note. Menace pour le sentiment de compétence de soi de l’ élève, surtout pour les élèves en difficultés voire en échec. L’auteur emploie l’image des « ressources rares », empruntée à Deutsch, où les « bonnes notes sont clairement décrites comme une denrée dont on a créé une offre délibérément limitée, comme les bonnes notes sont une clé dans le processus de sélection scolaire. »
En contrepoint de ce réquisitoire très lourd, qu’on pourrait penser partial, l’auteur prend le soin de préciser que « dans le domaine des apprentissages et de la motivation, on ne trouve pas de recherche qui témoigne d’un effet positif des notes […] avec peu de chance d’induire les élèves et les étudiants à étudier par plaisir, intérêt, ou tout autre forme de motivation basée sur les facteurs autonomes. »
Fabrizio Butera se garde pourtant de prendre position dans un débat qui se contenterait de savoir s’il faut, ou non, supprimer les notes. Pour lui, « les notes pourraient être utilisées pour développer les compétences des élèves, si elles sont utilisées dans un but formatif. » Mais, dans la situation actuelle, « les notes ne produisent que de la menace et des réactions de survie scolaire. »