Mais qu’entend-on par « échec scolaire, réussite scolaire » ?
Tout simplement : l’échec ou la réussite de l’école…comme la lumière solaire c’est la lumière du soleil.
Cela tombe sous le sens ?
Eh bien, non.
Ce qui est curieux, c’est qu’il y a une quasi unanimité, dans les instances ministérielles, les médias, les partis politiques, voire chez des experts, pour tordre le sens des mots et assimiler « échec/réussite scolaires » à une acception secondaire :
échec/réussite de l’élève.
Que se passe-t-il quand un élève rate ses examens ? Quel constat ? Qui est responsable ? C’est lui (…et ses parents, souvent).
C’est lui qui doit travailler plus, avoir davantage le sens de l’effort, comprendre que son avenir est entre ses mains.
C’est lui qui se condamne au redoublement lorsqu’il n’a pas bien révisé et a donc mal répondu aux questions de l’examen.
C’est lui qui manque de maturité, est dissipé, ne pense qu’à jouer, traîne les pieds pour faire ses devoirs, étudier ses leçons.
C’est lui qui se décourage trop vite, doute de lui, ou au contraire met son énergie dans la contestation en accusant l’école.
C’est lui qui a besoin de la vigilance, voire de la sévérité de ses parents, de soutien psychologique, de leçons particulières.
C’est lui qu’il faut bien observer, soumettre à des tests afin de remédier le plus tôt possible à ses manques d’apprentissage.
C’est lui qu’il faut encadrer mieux en réduisant le nombre d’élèves par classe, en embauchant du personnel spécialisé coûteux.
C’est lui, c’est lui, c’est l’élève…
Eh bien, non.
Quoique...
C’est parfois lui quand même. Dans 5% des cas, l’apprenant, ce n’est pas de sa faute, présente des troubles de l’apprentissage inhérent à sa constitution psychique ou sensorielle : arriération mentale, formes d’autisme, dyslexie grave, surdité, troubles variés.
Mais c’est lui, le plus souvent, qui est capable de s’enthousiasmer pour le cours du professeur passionnant et passionné, cet éducateur qui prépare la société du Futur, qui met en œuvre un projet philosophique propice à un changement urgent de société,
- en développant la solidarité dans les apprentissages,
La moitié de la classe doit faire apprendre à l’autre moitié le document reçu (sciences, histoire, philosophie), par une double interview.
-* en développant la créativité dans les apprentissages,
Trouver, en groupes de trois toutes les manières de couvrir entièrement un rectangle de 42 carrés à l’aide de deux rectangles .Découvrir ainsi la distributivité, l’associativité en affichant tous les calculs effectués et en les analysant en assemblée.
Ainsi, un rectangle fait de 6 bandes de 7 carrés est recouvert par deux rectangles de 3x7. Donc 6x7, c’est facile, c’est 21+21…
- en organisant la responsabilité,
Au lieu des devoirs identiques pour tous les élèves, ceux qui le désirent préparent, chez eux, quelque chose à faire apprendre aux autres : une expérience de physique, une sonate de Mozart, l’interview d’un écrivain…
-* en donnant du sens aux recherches,
Monter une saynète en anglais, écrire une préface pour « Tintin au Congo », réaliser une exposition, éditer un journal, ouvrir un site web, correspondre avec d’autres cultures.
-* en éradiquant les facteurs de compétition, donc de violence,
Remplacer par le dialogue et le portfolio les facteurs de rivalité tels que les examens notés, les punitions et les récompenses, les dénonciations aux parents, les humiliations, les exclusions. Faire place à la force de la non violence.
-* en teintant largement la formation de culture,
Ouvrir à l’exploration du monde par l’habitude à construire, en équipes, des exposés sur l’art, les sciences, l’écologie, le tout à partir d’une bibliothèque centre de documentation riche, renforcée par l’Internet, gérée par les élèves.
- en entraînant l’esprit critique par des débats, en décidant du contenu des cours avec les professeurs,
Donner le goût des discussions sur des informations contradictoires. Lire les médias, la publicité de façon critique.
- en se posant en citoyen qui a son mot à dire au même titre que les adultes,
Ecrire aux hommes politiques après l’annonce de la vente de 11 000 mitrailleuses par la Belgique à la France.
- en donnant sa place au corps,
Entraîner aux sports de coopération comme l’escalade, le trekking, aux sports d’équipe où se développe le fair-play.
- en constituant des groupes hétérogènes où les élèves s’entraident ne supportant pas qu’un seul n’apprenne pas.
Persuader tous les élèves qu’ils sont immensément capables d’apprendre parce qu’ils ont chacun 100 milliards de neurones,
Qu’il s’agit de ne pas se laisser couler, que tout est possible quand on a confiance en soi et dans les autres, sans jugement, savoir que tous parleraient le chinois, réputé difficile, s’ils allaient vivre en Chine.
Persuader les professeurs qu’un apprentissage réussi, surtout dans une matière pour laquelle on ne se croit pas ‘doué’, est de nature à cicatriser les plaies de l’âme par la confiance peu à peu retrouvée. Se détourner des tests d’intelligence/étiquettes.
On l’aura compris, c’est en amont des difficultés d’apprentissage qu’il faut masser les efforts même si des aides personnalisées aux élèves en difficulté sont parfois nécessaires.
Quand une rivière est polluée, les stations d’épuration sont certes utiles mais il est préférable de combattre les nuisances dès la source.
Ceci est vrai en écologie, ceci est vrai aussi en pédagogie : mieux vaut prévenir que guérir.
Mais si les effets des actions sont souvent perceptibles dans le domaine physique (quoique les controverses n’y manquent pas) il n’en va pas de même en éducation. Là, les phénomènes sont diffus, les processus de pensée et les causes de blocage difficilement décelables, sujets à des interprétations nombreuses. Les positions philosophiques sont variées, les méthodes multiples et changeantes, les traditions tenaces… et les tabous agissants.
Les tabous ? Qu’est-ce qu’il est incorrect de dire tout haut ?
Entrons dans une école, comme j’ai pu le faire pendant des années. Qu’est-ce qu’on y voit le plus souvent ?
Ce que les parents, les politiques, les journalistes connaissent mais qui ne les émeut pas, c’est le quotidien le plus habituel des classes, la face cachée et non stigmatisée une fois la porte de la classe refermée. Ce rituel consiste surtout en des séances d’exercices papier/crayon pour les élèves, crayon rouge pour le professeur prêt à calibrer le rendement avec des notes.
Et là, le travail des élèves est variable : les uns s’en sortent bien, d’autres sont à la peine, quelques uns perdent pied.
Chacun est isolé devant une tâche peu significative. L’ennui est massif. Et cela, personne ne le dénonce. Cela va de soi qu’on doive travailler (on ne fait pas toujours ce qu’on aime dans la vie). Puisque c’est ce que chaque adulte a connu le plus souvent dans son propre parcours scolaire, cela va de soi. L’école trie, c’est un de ses rôles, pense-t-on.
C’est, par ailleurs très facile pour le professeur traditionnel de dire : « Prenez votre livre page 48, exercices 4, 5 ,6 » ou bien : « Interro ! »
Et cela n’est pas dénoncé… au nom du respect pour la profession d’enseignant ou parce que cela paraît normal, on a toujours fait ainsi et nos ingénieurs sont performants. Silence.
C’est banal mais c’est terrible pour tous ceux qui mordront la poussière.
Que peut-il se passer durant ces séances ?
– Au point de vue des apprentissages, on constate, au mieux, un renforcement pour les forts (mais guère de réel pas en avant ; puisqu’ils réussissent, c’est qu’ils savaient déjà), un besoin d’aide pour les hésitants qui ne se découragent pas, une stagnation pour ceux qui sont lâchés.
Que fait habituellement le professeur après ces moments de performance individuels ?
Il administre. Il pointe les erreurs et rajoute des exercices aux élèves défaillants en indiquant où le bât blesse. A eux de faire effort, de se corriger, de réviser, d’étudier plus. Lui, il a fait ce qu’il appelle une correction, c’est-à-dire un repérage des erreurs C’est ce qu’il faut comprendre quand on l’entend se plaindre d’avoir beaucoup de copies à corriger. Il ‘corrige’ la feuille mais rarement l’élève. Celui-ci vérifie, souvent via la note attribuée, s’il a ‘satisfait’ ou non aux yeux de l’adulte mais n’entreprend pas de lui-même l’apprentissage auquel son professeur l’exhorte par une remarque souvent moralisatrice. Il est seul. Si sa note est basse, il se détourne vite de ce qui le fait souffrir. Il se résigne, parfois se révolte…ce qui le déclasse définitivement.
– au point de vue de l’estime de soi, il y a de nouveau un renforcement des forts mais une détérioration de l’image narcissique chez ceux qui n’en sortent pas, voire chez eux, l’émergence de l’idée fataliste d’une inaptitude foncière aux études : ne pas avoir la bosse des maths, ne pas être ‘littéraire’, ne pas être doué pour les langues étrangères etc.
J’ai bien connu ce genre de réaction autodestructrice. Des élèves m’ont dit : « Inutile d’essayer avec moi, je suis nul ». Cela se passait dans l’institution que j’avais fondée pour des élèves en échec grave, élèves que des écoles conventionnelles avaient exclus.
– au point de vue organisationnel, il faut déplorer une perte de temps considérable : 30 jours par an se passent à déceler les niveaux au lieu de faire apprendre jusqu’au 30 juin avec une évaluation intégrée au processus d’apprentissage. Donc, en 12 ans de scolarité, on a fait du sur place pendant 2 années (30 j x 6 en primaire, idem dans le secondaire, soit deux années scolaires de 180 jours). On perd du temps, puis on court pour boucler le programme et on fait redoubler (à grands frais pour le contribuable)…alors que chacun pourrait disposer de 14 années scolaires sur 12 ans, sans redoublement.
Le philosophe français Gaston Bachelard a dit : « Tout apprentissage solide se nourrit de lenteur », on pourrait ajouter : « … et de droit au tâtonnement, à l’erreur qui dynamisent un groupe en recherche solidaire ».
En vrac, l’échec est assuré par : le chacun pour soi, la créativité absente, pas de responsabilité par manque d’initiatives, des besognes dénuées de sens, l’exaltation de la compétition par les points, l’absence de contenus culturels propres à inciter les élèves à créer et pas seulement à consommer, pas de parole libre vu l’absence de débats, la frilosité vis-à-vis des enjeux de société, la place du corps réduite, l’absence du souci de la réussite de l’autre…sans parler de l’obsession du mesurage de l’humain imposé par les hiérarchies qui étouffe, qui est anxiogène et fait fuir.
La première prise de conscience devant le tableau des échecs à l’école consiste donc à abandonner la voie du « dépistage/remédiation » pour les élèves et de d’abord dépister, pour y remédier, les carences du système.
Ce ne sont pas d’abord les élèves mais les professeurs en difficulté qui ont besoin de soutien différencié et d’espace de liberté car avec les excellents profs, nombreux, les élèves aiment apprendre, l’ennui s’envole, la confiance en soi et dans les autres grandit.
Bref, mieux vaut se fixer en priorité sur l’échec scolaire compris comme l’échec de l’école afin de réduire l’échec des élèves.
Par Ch.Pepinster
_ Courriel :pepinstercharles chez ymail.com
_ Sites : voir www.panote.org
Voir aussi sur le sujet, une étude publiée par la CGé :
« Bon et mauvais élèves : quels stéréotypes aujourd’hui ? »
Coordination : Gaëtane CHAPELLE et Sandrine GROSJEAN 2010.
Étude CGé 2010. Avec le soutien du Service de l’Éducation Permanente,
Direction Générale de la Culture de la Communauté Française
Téléchargement gratuit de l’étude :
http://www.changement-egalite.be/spip.php?artic
Études CGé
http://www.changement-egalite.be/spip.php?rubrique218