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Comme le lait maternel
Education Nouvelle à l’école maternelle. Position du GBEN.
Article mis en ligne le 25 février 2010
dernière modification le 6 juillet 2016

par Charles Pepinster, Eugénie Eloy

Seuls la maladie et l’adulte peuvent empêcher le jeune enfant de jouer, donc d’apprendre.

L’actualité, c’est comme un grand film qui se déroule… puis, stop ! Arrêt sur image. C’est la volonté d’un journaliste, d’un homme politique, d’une vedette du showbiz… Et voilà un sujet propulsé à l’avant- scène.
Un des derniers flashs en date chez nos amis français a éclairé leur Ministre de l’Education. Celui-ci a donné son avis sur l’école maternelle, section des petits.
Il se demande s’il est utile de désigner une personne « bac plus cinq » comme ils disent, pour mettre des enfants à la sieste ou pour changer leurs couches. Soit dit en passant, il vaudrait mieux inverser ces deux moments…Non ?

Vous auriez raison, Monsieur le Ministre, si vous dénonciez l’ineptie qui consiste à regrouper dans une classe – dite d’accueil ! – un groupe homogène d’enfants de 2 ans, 2 ans et demi. A moins de vouloir faire de mauvaises économies ou de vouloir unifier les mentalités le plus tôt possible au profit d’une même culture bien pensée, on ne met pas les enfants de 2 ans à l’école. Non.
Pourquoi ?
« Les enfants sont propres 12 à 15 mois plus tard que les enfants des années 50. Ils sont aujourd’hui âgés en moyenne de 30 mois ou 2 ans et demi, bien qu’il y ait de grosses différences individuelles, ressort-il d’une étude d’ Alexandra Vermandel de l’Hôpital Universitaire d’Anvers. (…)Le fait que les enfants soient propres plus tard a des répercussions en classe, où les institutrices passent de plus en plus de temps à changer les sous-vêtements »– La Libre Belgique p29 – 24/09/08 .

L’ineptie c’est que des éducatrices, qui ont fait cinq ans d’études après l’enseignement secondaire, tolèrent de regrouper des enfants qui parlent à peine pour leur apprendre à parler.
Faudra-t-il avoir fait médecine plus polytechnique pour constater que les très jeunes enfants ne sont pas mûrs pour vivre harmonieusement la cohabitation dans des groupes de +/- 15, 20, 25 bambins du même âge, même avec une aide maternelle ?

Ce regroupement des tout petits entraîne davantage à la soumission, à la résignation voire à l’ennui qu’à l’éveil à un monde différent parce que l’adulte est le plus souvent débordée.
Leur place est à la maison ou à la crèche et c’est là qu’il faut résoudre le problème, certes difficile (le travail des femmes, la rareté et le coût des infrastructures…) et non le déplacer à l’école maternelle.
Pitié donc pour les enfants de 2 ans à 2 ½ ans et les maîtresses !

Quant aux enfants de 3 ans il tombe sous le sens que les regrouper de manière homogène dans une même section, c’est accumuler les difficultés, c’est risquer de développer la dépendance à l’adulte. Cette hétéronomie freine l’autonomie car l’enfant s’habitue à attendre les consignes pour agir. Sa créativité se met en veilleuse, sa débrouillardise s’estompe. Il pilote alors ses actions sur les désirs identifiés de l’adulte…ou bien il s’oppose.

L’exemple de l’hétérogénéité des groupes vient du peuple, de tous les peuples de la terre : il est plus facile, partout, d’élever cinq enfants dont les naissances sont espacées que des quintuplés.
Ma mère a eu dix enfants… Elle disait qu’elle n’aurait pas souhaité à sa pire ennemie – qu’elle n’avait d’ailleurs pas – d’avoir des triplés. Je la comprends.

Ce que je ne comprends pas, c’est que l’on regroupe des cohortes de quintuplés— et donc que l’on charge une institutrice de 15, 20, 25, petits de 3 ans— au lieu de constituer en maternelle, des classes qui comptent un tiers de petits, un tiers de moyens et un tiers de grands.

Si ces classes « verticales » sont centrées sur le jeu et l’expression par les arts, les grands entraînent les petits… qui, d’année en année, deviendront moyens puis grands, construisant ainsi une véritable maturité d’aînés habiles à tout faire : bricolage au coin menuiserie, théâtre guignol, en passant par la peinture, l’eau et le sable, l’espace musique et danse, les jeux symboliques du faire semblant. Ici, une diplômée bac plus cinq sera bien utile pour organiser l’activité incessante des enfants, rassurer les plus jeunes, aider à choisir donc à anticiper, développer la sociabilité, initier aux jeux coopératifs, au graphisme, à l’art, interroger le langage écrit, apprendre des chansons, cultiver la douceur de se détendre sans aucun stress, donner la place au corps, dégager les premiers concepts mathématiques nés dans le jeu, susciter l’entraide comme en famille : « Qui peut venir aider ici… ? »

Au point de vue institutionnel également le groupement inter - âge est la formule la plus adéquate puisqu’ ainsi toutes les institutrices maternelles ont le même statut et le même nombre d’élèves. Leurs rencontres sont plus fructueuses. Dans cette organisation familiale aux âges mélangés, changer de temps en temps les langes d’un enfant est un acte aussi éducatif, parce que rare, que de lui apprendre à tenir un crayon.

On pourrait se demander pourquoi on charge une personne, souvent la plus jeune institutrice maternelle, de ‘quinztuplés’ voire de ‘vingtuplés‘ au lieu de répartir ceux-ci dans des classes composites.
Parmi les raisons, j’en retiens deux qui m’ont été avancées durant les 18 ans où je fus inspecteur des écoles en Belgique :

L’habitude. On a presque toujours refilé les petits à la plus récente de l’équipe éducative. Un jour viendra où une institutrice plus jeune encore héritera de la classe dite d’accueil. Un jour viendra aussi où la classe des grands, si longtemps convoitée échoira à une pédagogue d’un âge plus mûr. Bref chacune à son tour. Ici se vérifie une assertion de Tolstoï. Cet écrivain russe disait que quand le confort des professeurs entrait en concurrence avec l’intérêt des élèves, c’était toujours l’avantage des professeurs qui l’emportait.

La pression de beaucoup d’instituteurs primaires, de parents, d’inspecteurs pour faire de l’école maternelle non pas un jardin d’enfance mais une section préparant directement à l’école primaire.

Poussée donc dans ce sens, ou croyant elle-même faire le bien des enfants, l’institutrice des grands verse vite dans les apprentissages formels de la lecture, de l’écriture et du calcul, creusant ainsi déjà des écarts entre des enfants devenus trop tôt des écoliers. En général, elle aborde les chiffres trop tôt, elle empêche même la vraie lecture si elle centre l’apprentissage sur le ba, be ,bi, bo, bu… Pourtant, Claparède disait : « On ne tire pas sur la queue des têtards pour en faire des grenouilles » Pourtant aussi, l’école primaire commence à sept ans, et non à six, en Scandinavie où justement, les jeunes enfants fréquentent des groupes de jeu hors système scolaire. Là, pas de rapt sur le droit à jouir sans entrave du droit de jouer.

Dans la conception intellectualisante prématurée, la titulaire réclame une classe nécessairement homogène, rien que des enfants - écoliers de cinq ans afin de développer des trucs dont on lui a farci la tête. Là, évidemment, les petits sont des gêneurs, eux qui aiment traîner des objets, en empiler, les faire crouler, vider les tiroirs, jouer avec une boîte en carton, pousser des cris, circuler librement…
Pour admettre et ensuite voir le bénéfice extraordinaire des groupements naturels verticaux avec donc des petits, des moyens, des grands, il faut recentrer l’école des bambins sur son lait maternel, le jeu.

Dans le jeu, ce facteur de croissance universel inscrit comme un besoin fondamental durant une période décisive de la vie, se trouvent réunis tous les éléments favorables au développement intellectuel, affectif et social.

Comme dans le lait de la mère, la nature a mis tout ce qu’il fallait dans le jeu.

Le jeu, exceptionnelle possibilité d’expressions culturelles différentes, ainsi que l’expression artistique et l’ouverture au monde, prennent toute leur dimension éducative quand s’y rencontrent pendant trois merveilleuses années des enfants différents dans une grande famille multi-âges où les petits imitent les aînés, toujours pleins d’idées, loin de l’ennui, loin de la comparaison.

Là, l’institutrice, qui donne du souffle, ne sera jamais assez qualifiée pour enrichir sans cesse un milieu extrêmement stimulant et chaleureux…ne laissant pas seulement jouer les enfants mais faisant tout pour qu’ils jouent le mieux et le plus possible, délaissant les classeurs de feuilles… mortes.

Ainsi, peu à peu, avec un grand art et une connaissance fine de la psychologie et des besoins des enfants, l’éducatrice fabriquera un " terreau-jeu" où elle fera naître les premiers classements et dénombrements, le langage élaboré, l’usage des symboles, le goût des arts, l’aisance corporelle, en solidarité créative bref, la véritable assise culturelle pour entrer à l’école primaire.

Ch. Pepinster avec l’aide d’E.Eloy
Courriel : pepinstercharles chez ymail.com
Voir aussi le site www.panote.org