1. Enjeux, choix idéologiques qui sous-tendent les démarches d’écriture
Utiliser l’écrit dans ses multiples usages :
Ecrire pour fixer les moments d’une recherche, d’un projet.
Ecrire pour formuler des hypothèses et les théoriser.
Ecrire pour lire autrement.
Ecrire pour se construire des savoirs.
Etre acteur, produire des textes pour découvrir, analyser, reconstruire des outils émancipateurs.
"La langue n’est pas un véhicule d’idées ou d’états d’âme, un reflet de la réalité, mais un matériau susceptible d’un travail, elle n’est pas à-côté de la réalité mais un élément, un composant de celle-ci.
La langue est un outil de connaissance et donc de transformation". (La grammaire de l’imagination, Rodari, Ed Messidor, 1979)
Se confronter, élargir ses points de vue sur le monde en utilisant l’interaction entre les textes écrits en atelier et ceux d’auteurs.
Travailler ensemble sur une même tâche dans l’effervescence des idées, des mots, des imaginaires pour relever le défi et s’en poser d’autres.
Trouver individuellement ses pistes d’écriture pour y rencontrer le plaisir.
Tout ceci, comme toute l’idéologie du Groupe d’Education Nouvelle, se désigne par un seul vocable : "auto-socio-construction" des savoirs.
Mot valise se construisant à partir de quatre pôles :
– AUTO --- moi, le sujet.
– SOCIO --- les autres.
– CONSTRUCTION --- interaction, questions, recherches.
– L’OBJET --- le défi, la situation problème, l’enjeu, la problématique utilisée comme incitant à l’atelier.
Ces choix idéologiques s’intègrent à la pédagogie par l’intermédiaire d’une stratégie des ateliers d’écriture et d’outils choisis.
2. Une stratégie : moments forts de l’atelier
On peut diviser les démarches en quatre temps :
2.1. Phase d’émergence
C’est une phase de mise en condition à partir d’une problématique donnée. Celle-ci est abordée en premier lieu par le biais d’un ou de plusieurs mots inducteurs, mots suffisamment larges pour permettre à chacun de s’exprimer.
Lors de cette séquence, chacun apporte, exprime, écrit son point de vue, son expérience personnelle. Ceux-ci sont ensuite échangés oralement avec les autres.
Cette première coopération peut se traduire par une fresque collective, un passage par l’art plastique, une écriture effervescente à partir d’un mot ou un groupe de mots, une imprégnation par fragments de lecture, une mémorisation en faisant circuler des reproductions sur cartes postales, etc..
2.2. Phase de déstructuration
Pour que les participants puissent se libérer du quotidien et se confronter à un monde différent du leur, il faut les décentrer, les amener à remettre en question leurs certitudes, leur confort d’habitudes mentales.
Le concept est celui de rupture. Rupture qui a lieu face à un apport extérieur de textes, d’images, de musique à leur univers habituel.
Cette rupture peut se traduire en utilisant l’écriture effervescente, une lecture orale, une distribution d’extraits de textes, un détour par les arts plastiques, etc.
2.3. Phase de reconstruction
On rentre dans "l’atelier de l’écrivain". A partir de l’émergence, riche des points de vue du groupe, de la rupture, les consignes contraignantes entraînent les participants vers une écriture utilisant et traduisant le cheminement parcouru au long de la démarche. Cette production est lue à haute voix au groupe. Elle témoigne du plaisir d’être capable d’écrire, mais aussi des découvertes, des apprentissages réalisés.
2.4. Evaluation de l’activité réalisée
– 2.4.1.
Il arrive quelque fois qu’on touche par l’écriture à un souvenir heureux, douloureux. Permettre aux personnes de le dire, d’exprimer leurs troubles, leurs réticences, leur bien-être libère de l’émotivité.
Ceci est nécessaire avant de passer à une réflexion plus théorique sur ce qui s’est passé. C’est un moment donné à la parole. Durant cette activité, les personnes qui désirent s’exprimer utilisent uniquement le "je".
– 2.4.2.
Cette phase de l’atelier doit être conduite et non animée par l’animateur, il sert à renvoyer, à reformuler, à mettre en relation différents points qui auraient été verbalisés par les participants. Il n’y a pas une manière d’analyser ce qui s’est passé pendant l’animation mais bien un grand intérêt à faire la lumière sur les différents points de vue énoncés.
– 2.4.3. En premier lieu, il s’agit d’analyser, de lister les outils utilisés pour relever le défi de l’écriture. Ensuite de se questionner sur les concepts abordés, approchés, creusés durant la démarche.
3. Les partis pris d’écriture du Groupe d’Education Nouvelle
3.1. Le choix d’une problématique conceptuelle
La construction d’un atelier commence par le choix d’une problématique de rupture à aborder. Cette option va permettre de décentrer les habitudes, les mots et amener les apprenants vers d’autres découvertes, pensées imaginaires.
Le choix d’une problématique nouvelle est très important car sans elle, pas de théorisation, pas de construction conceptuelle. Sans elle, l’atelier n’est qu’une forme creuse, un pur divertissement.
3.2. Le travail en groupe
Le travail en groupe pousse les personnes à échanger, à émettre leurs opinions.
La manière de travailler varie selon les moments de l’atelier : en petit, grand groupe ou individuellement. Il y a toujours plus de mots, d’idées dans deux têtes que dans une. On pille, on vole .... ce partage fait résonner, rassembler d’autres écrits.
3.3. Pas de censure
Il n’y a pas de jugement sur les productions, pas de censure. Une seule règle : "ce qui est écrit est lu". Chacun choisit lui-même avant d’écrire ce qu’il désire livrer. Tout est accepté, nous avons tous droit au tâtonnement, à l’essai et à l’erreur pour nous construire "écrivain". Un mot, une phrase, dix pages..., c’est pareil, ce n’est pas une compétition.
L’orthographe n’a pas d’importance, les fautes sont permises. Elle est travaillée en dehors de l’atelier et prend tout son sens si les productions sont envoyées ou publiées.
3.4. La lecture des productions et l’affichage
Les productions écrites sont toutes lues à haute voix et affichées pendant l’atelier.
La lecture des productions socialise les écrits : on écrit pour être lu, entendu. Chacun lit sa production et entend celle des autres.
Il n’y a d’évaluation au sens strict, mais cette lecture finale déclenche de nouvelles découvertes : construction de textes, style, mots utilisés,...
Individuellement, face à leur texte et à celui des autres, les participants s’auto-évaluent.
Les réflexions personnelles dégagées de la socialisation des écrits pourront être mises à profit dans d’autres ateliers.
3.5. La participation de l’animateur
L’animateur participe à l’atelier comme les apprenants. Il joue donc un double rôle, mais comme tous, il lit ses écrits et il les risque.
4. Des outils d’écriture
4.1. La fresque collective
Un mot noté par quelqu’un sur une grande feuille accessible à tous va en faire émerger un autre, et ainsi de suite.
De cette manière, les représentations attachées au mot ou au groupe de mots de départ s’élargissent.
La fresque collective est donc construite à partir des apports individuels.
4.2. L’écriture effervescente
– 4.2.1. On constitue à partir d’un ou plusieurs mots une double liste (sans se censurer) : travail sur l’axe idéel et matériel.
Exemple : "SOLEIL"
Axe idéel - - - | Axe matériel | ||
plage
île chaleur brûlures rayon |
sorcière
sommeil éveil layette miel |
– 4.2.2. On se donne pour règle d’utiliser un maximum de mots tirés des deux colonnes pour tisser un texte en lui conférant une double et personnelle cohérence (idéelle/matérielle)
Le but est de se construire une liste de mots : plus ils sont nombreux, farfelus, plus cette liste sera riche.
Pour les participants, c’est souvent une découverte de s’apercevoir qu’un mot peut évoquer plusieurs représentations et, surtout, que celles-ci sont différentes pour chacun de nous. Comme pour la fresque, cet outil permet d’accéder à une forme d’imaginaire où un mot en cache beaucoup d’autres.
"Un mot jeté au hasard dans l’esprit produit des ondes en surface et en profondeur, provoque une série infinie de réactions en chaîne, entraînant dans sa chute sons et images, analogies et souvenirs, signification et rêves, dans un mouvement qui concerne à la fois l’expérience et la mémoire, l’imagination et l’inconscient, et qui se complique du fait que l’esprit n’assiste point passivement à la représentation, mais y intervient continuellement pour accepter et refuser, relier et censurer, construire et détruire". (La grammaire de l’imagination, Rodari, Ed. Messidor, 1979)
4.3. L’incipit
Pour faciliter la mise en route, une première phrase est donnée appelée incipit. Il est parfois important d’utiliser cet outil d’écriture : on est souvent arrêté par la feuille blanche, parce qu’on ne sait pas "par où commencer". Si la première phrase est donnée, ce problème disparaît. Cette production va donc se construire comme un puzzle.
4.4. L’imprégnation par fragments de lecture
La lecture à voix haute permet aux participants de lire plus aisément, ensuite de se laisser entraîner par la forme du texte, sa musicalité, les mots employés et de se construire des repères, des liens avec le texte.
4.5. Lire pour collecter des morceaux de texte
Les participants sont donc obligés d’être actifs dans leur lecture, sans pour autant s’arrêter sur chaque mot. Le but n’est pas d’expliquer l’histoire, mais bien d’en tirer ce qui les questionne, que ce soit une phrase entière, une partie de celle-ci ou des mots isolés.
Les textes proposés en lecture sont pillés, découpés, agencés, recopiés, collés pour donner lieu à d’autres trouvailles.
Si les ateliers mettent les participants dans un contexte libérant l’écriture, ils vivent l’appropriation d’outils dont ils pourront se resservir par la suite. Il faut donc à l’intérieur des ateliers permettre et amener les participants à se donner des consignes en utilisant les outils découverts auparavant.
Les extraits de textes distribués peuvent devenir fragments, incipit ... rien n’empêche d’employer l’écriture effervescente. C’est à chacun de définir son chemin, sa consigne pour répondre à sa manière à la problématique posée.
5. Des contraintes libératoires
5.1. La consigne d’écriture
La consigne peut paraître peu claire ou trop touffue.
Elle l’est volontairement pour forcer les participants à faire un choix, à se donner une consigne d’écriture.
Ils vont donc aborder celle-ci en se demandant quels mots ou expressions employer et non en recherchant l’idée qu’ils vont développer. Ce sont des mots qui vont former le texte que découleront les idées, un sens et non l’inverse.
Cette manière de procéder va permettre d’une part d’accéder à l’imagination et à la fiction et d’autre part, de combattre l’angoisse de la feuille blanche.
Il n’est pas nécessaire d’avoir des idées préalables à l’écriture.
5.2. Le temps limité
Le temps très limité joue aussi un rôle. C’est pressé par le temps que l’on crée et non devant un temps trop long qui laisse la place à l’hésitation et où, dans les meilleurs des cas, ce sont les dernières minutes qui serviront de déclencheur.
Maryanne GODERNIAUX,
inspirée par Karyne WATTIAUX
illustrations
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