Comment apprendre à écrire ?
“Tout est dans le cheminement”
En abordant la question de l’apprentissage de l’écriture, je m’inscris dans ces propos de Joseph Stordeur [2]. “La différenciation est d’abord un état d’esprit qui permet de respecter les différences. L’idée est de travailler sur le cheminement des enfants pour qu’ils puissent tous accéder aux contenus essentiels.” Reconnaître les différences, soigner les cheminements d’apprentissage et prendre le temps de répéter.”
En général, tous les enfants ont envie d’apprendre à écrire et à lire.
“L’échec est un problème collectif, pas celui de l’enfant. C’est l’école qui doit changer. Il y a plein de bonnes idées, mais elles sont contaminées par des pensées du siècle passé."
Les enseignants, dit-il encore, sont les premières victimes du système. Face à un discours souvent contradictoire, ce qu’on leur demande est intenable. Il est impossible pour un enseignant de couvrir en une année scolaire tout ce qui figure dans les programmes, sauf de passer vite fait sur certains points. On a vu l’importance de la répétition dans les apprentissages. Mais les programmes à suivre envers et contre tout passent souvent devant ceux-ci.
"Et puis il y a ce qu’on appelle des évaluations, qui sont en réalité des contrôles".
Et trop souvent, ce sont eux qui découragent les élèves, et les empêche d’aller jusqu’au bout de leur cheminement.
“Compte tenu de la situation actuelle, introduire un deuxième intervenant dans les classes est actuellement la meilleure des solutions pour faire de la différenciation”. Cette possibilité est ouverte chez nous depuis septembre 2022 en première et deuxième années primaires.
Après ces quelques remarques préliminaires, voici, pour entrer dans le concret, quelques réflexions afin d’élargir le contexte de cet apprentissage crucial.
Apprendre à écrire n’est pas chose facile. C’est long. Le découragement guette et il suffit parfois de pas grand chose pour casser la dynamique.
En particulier, les mauvaises notes.
Les notes ne sont tolérables en pédagogie que si elles ne sont pas “mauvaises”.
Sanctionner un apprentissage en cours est une absurdité pédagogique.
Et ce n’est pas le pire. Car la pente la plus difficile à remonter est celle de l’exclusion et de la dévalorisation par les autres, souvent d’ailleurs aiguisées par les “mauvaises” notes.
Dans une classe de 2ème primaire, c’est l’institutrice qui était découragée parce que presque tous ses élèves, avaient achevé leur 1ère année sans avoir vraiment démarré dans la lecture et l’écriture. Elle les considérait en échec (et elle-même aussi) jusqu’au jour où elle a découvert que la présence en classe d’un élève qui avait des facilités et avait déjà tout compris, infériorisait et bloquait la plupart des autres. On a créé une discussion avec le groupe-classe et tous ont été d’accord de chercher ensemble les moyens de faire réussir tout le monde avant la fin de l’année.
Une panoplie de moyens différents ont été mis en place, selon les besoins de chacun.
1. Du dessin à l’écriture
Tout d’abord, écrire est une activité en continuité avec le dessin. Postulons que l’écriture de l’enfant (et de l’adulte ?) s’inscrit dans le prolongement de son plaisir à dessiner.
Inscrire le début de l’écriture dans cette dynamique est un vrai moyen d’amplifier le sens et le plaisir de l’apprentissage.
Tous les enfants quelque soit leur culture, passent par le dessin de cercles, de spirales, de roues avec rayons, de croix et d’étoiles, bref des dessins centrés, qui seraient comme des manifestations d’un infini que la plupart des adultes ont oubliés.
“Les dessins d’enfants ne seraient-ils pas eux aussi, des repères placés sur le chemin de l’humanisation ?” (Rudolf Steiner)
Entre 1 an et 3 ou 4 ans, l’enfant passe de l’élan rythmique libre aux formes géométriques abstraites. A partir des premiers tourbillons “dessinés” au départ par le tout petit enfant, ses dessins seront comme des représentations de courants énergétiques dont il a besoin pour redresser son corps.
Ainsi, la croix symbolise le fait de se tenir debout dans l’espace.
On peut faire l’hypothèse, avec Gisèle Calmy, d’un cheminement mental et manuel depuis le graphisme spontané jusqu’à l’expression écrite.
Le pictogramme, une pratique préconisée jadis dans les classes maternelles comme une étape de “pré-écriture”, y trouve une place.
2. Lire-écrire
Si la lecture est un apprentissage de la réceptivité, la face active, c’est l’écriture.
L’apprentissage de la lecture ne précède pas nécessairement l’écriture, car les deux sont liés dans une dynamique interactive et circulaire, et se fécondent mutuellement.
C’est parce qu’ils ont envie d’écrire que les enfants avancent dans la connaissance des lettres, des mots et des tournures de phrases. Ils lisent parce qu’ils ont envie d’écrire activement, et ils écrivent parce qu’ils veulent entrer dans le monde de ce qui est écrit, de ce qu’ils lisent, et pour participer à cet univers un peu magique de la langue écrite.
C’est comme un jardin avec plusieurs portes d’entrée, chacun peut en privilégier l’une ou l’autre… [3]
"Traditionnellement, on avait l’habitude de penser que l’écriture devait être enseignée après la lecture. L’argument était que les enfants devaient déjà fournir assez d’efforts pour apprendre à lire et qu’il était donc préférable d’attendre que les débuts en lecture soient bien effectués avant de le lancer dans l’écriture.
L’observation montre que les enfants d’âge préscolaire s’intéressent à l’écriture avant de s’intéresser à la lecture, ou du moins en même temps. Dans tous les pays, on a remarqué que les jeunes enfants ont une propension à écrire lorsqu’on leur fournit le matériel approprié."(Jocelyne GIASSON "La lecture, de la théorie à la pratique” (DeBoeck 1997), p. 129)
Les enseignants sont-ils des éveilleurs ou seulement des équipementiers et des outilleurs ? Apprennent-ils aux enfants à exploiter l’écrit – lire pour écrire, prendre la parole, donc agir sur le monde, ou seulement à être réceptifs, avaleurs et digesteurs de textes écrits par d’autres, dans une soumission passive ? Font-ils de leurs élèves des consommateurs ou des transformateurs-producteurs, capables de dire non, d’avoir un regard critique, de réagir, par exemple en prenant la plume ?
Combien d’enseignants se préoccupent de tous ces aspects qui forment une sorte de halo autour de l’apprentissage proprement dit ? [4]
3. “Est-ce que tu peux marquer sur ce papier..."
Demander aux enfants d’écrire des mots (ou plutôt de “marquer”) bien avant qu’il sache “écrire” tel qu’on apprend à l’école, est une démarche stimulante, joyeuse, étonnante et souvent renversante.
C’est ce que Jean-Marie BESSE appelle des "écritures productives", écritures produites par l’enfant sans modèle (et qui s’opposent ainsi aux "écritures reproductives”). Fijalkow parle “d’écriture inventée” (1994)
La demande de production d’écrit adressée à l’enfant ne parle pas d’écriture. : “Est-ce que tu peux marquer sur ce papier…”
Le travail de recherche s’efforce de préciser comment se fait la re-découverte par l’enfant des propriétés du langage écrit.
Le chercheur essaie de créer les conditions d’une expression aussi personnelle que possible de l’enfant, en essayant d’éviter de lui demander des écrits qui ne seraient qu’une reproduction de ce qu’il a vu.
Des activités en classe pourraient s’inspirer.
“Une certaine tradition "pédagogique", inspirée avant tout par l’idée que présenter à l’enfant - ou tolérer chez lui - des formes "fautives" ne peut que l’encourager à une manière de laxisme orthographique, ne "lira" ces écritures que comme autant d’erreurs, puisque cette tradition ne prend en compte, comme critère d’analyse de ces écritures, que "ce qui leur manque pour être correctes.
Mais il est au contraire possible de considérer ces écritures comme des "essais", une manière de tester des hypothèses sur la langue, sans qu’il soit question pour autant de leur donner un autre statut (puisque ce sont des productions insatisfaisantes, non durables, illisibles le plus souvent en dehors de leur contexte de production).”
“nous postulons, dit Jean-Marie Besse, que le jeune enfant nous donne à comprendre comment il essaie de "penser" cet objet relativement opaque qu’est la langue écrite. Et c’est un travail cognitif entrepris très tôt chez la plupart des enfants.” [5]
exemples : 1er stade, Laetitia, et Grégory [6]
Voir Jean-Marie Besse : LES PALIERS DE CONSTRUCTION DE L’ECRIT [7]
4. Sanctionner les fautes ?
Incontournable à mon sens est l’ardoise ou le tableau effaçable sur lesquels l’enfant peut faire disparaître tout de suite ses essais d’écriture ou ses erreurs de calcul avant qu’un adulte ou un autre élève ait vu ce qu’il a écrit, et recommencer autant qu’il veut jusqu’à un résultat qu’il juge présentable. Donc pas de jugement. Donc pas de stress.
On peut discuter le fait de vouloir tout de suite que l’enfant écrive sans faute pour éviter qu’il fixe dans sa mémoire de fausses graphies des mots.
IL me parait nécessaire en tout cas de dissocier les essais tout de suite effacés et les traces qui restent au cahier et qui risquent d’installer une graphie incorrecte, qui deviendra difficile à extirper de la mémoire et des routines de l’enfant.
Tout le monde devrait savoir que l’apprentissage procède par essais et erreurs, et que c’est en se trompant qu’on apprend. En pédagogie il n’y a pas de “fautes” (plus précisément, il ne devrait pas y avoir de “fautes”), mais seulement des erreurs instructives, si elles sont prises en main par un adulte.
5. Le Dessin de forme
Venons-en à un autre aspect de l’apprentissage et de la formation des lettres.
Les lignes de “a”, de “i” ou de “o” dans un cahier, plaira aux uns et rebutera les autres.
Pa sûr que les plus créatif y trouvent leur compte.
C’est sûr qu’il faut exercer la dextérité manuelle et que la répétition est un bon moyen d’ancrer les gestes qui resteront toute une vie. Mais il y a d’autres manières de faire, et par exemple les exercices progressifs du “Dessin de forme”.
Le Dessin de forme [8] propose une progression ludique passant d’une simple ligne droite horizontale droite qui ondule petit à petit, formant de petites puis grandes vagues, puis des boucles, des entrelacs de plus en plus complexes qui délient peu à peu la main enracinent la maîtrise du geste, du mouvement, des bras et des mains et aide l’enfant à développer une compétence gestuelle, artistique qui lui fera apprendre à former ses lettre avec une plus grande facilité.
C’est une pratique habituelle dans les écoles Steiner.
6. Le plaisir de la belle écriture
Puisque je suis à évoquer les écoles Steiner, j’ai toujours été épaté par la beauté des cahiers scolaires, la richesse de leurs couleurs et leur créativité. D’emblée l’enfant baigne dans la beauté et son écriture prend dès le départ une coloration artistique. Il écrit, comme il dessine, avec plaisir. Et son écriture comme ses cahiers sont de petites œuvres d’art.
Et pourquoi ne pas expérimenter la calligraphie, pour retrouver le plaisir de dessiner en écrivant ?
Différentes civilisations développent des apprentissages de la calligraphie et la maîtrise des outils pour la réaliser.
Peut-être cela mène-t-il à faire attention à son orthographe. Si je soigne une calligraphie et passe du temps, par exemple à bien faire une affiche, c’est désolant de devoir tout recommencer parce qu’il y a une “faute”…
Cela va de pair avec le choix des outils d’écriture. Un support n’est pas l’autre, les papiers diffèrent les uns des autres, comme les outils d’écriture.
Dans certaines classes, on impose le porte-plume, pourquoi ?
Et souvent, l’emploi des couleurs n’est pas permis dans le cahier. Pourquoi ?
À Cuba j’ai vu dans les écoles que les enfants travaillaient avec du matériel fabriqué à la maison : pochettes (et, notamment en mathématiques, avec du matériel - abaques, jetons, boutons…) choisies et fabriquées en famille : chaque élève avait ainsi son propre matériel, personnalisé, avec en prime, un lien affectif l’accompagnant en classe dans ses apprentissages.
Encore un mot à propos des écoles Steiner. La beauté de l’écriture, la beauté du processus d’apprentissage ne vont pas sans la qualité et la beauté du matériel utilisé, en bois le plus souvent, et les formes sont recherchées, visant à être belle. Belles, donc vivantes, apaisantes, favorisant l’intériorité, si je puis me permettre ce mot !
7. Le rythme et la musique
La musique est importante.
Tantôt comme fond musical à certains moments (musique classique ou relaxante). Comme pour tout apprentissage, je la vois à deux moments clés : avant un apprentissage qui va être difficile, pour apaiser les esprits, comme pourraient le faire le coloriage d’un mandala, et à la fin, dans un moment d’intégration, une écoute en silence pendant laquelle les apprenants font, dans leur tête, le bilan de ce qu’ils ont appris et ressentent le plaisir d’avoir réussi quelque chose qu’ils ne savaient pas faire avant.
Tantôt comme partie intégrante de l’apprentissage de l’écriture : écriture rythmée, chantée et même dansée ; on peut utiliser les comptines, et par exemple accentuer dans les phrases chantées les syllabes importantes sur lesquelles on veut insister.
On sait que la musique favorise l’apprentissage des mathématiques, nous pouvons considérer qu’elle facilite aussi l’apprentissage de l’écriture.
8. Apprentissage dans la nature et avec tout son corps
J’en viens tout naturellement au lien entre l’apprentissage et la nature.
Apprendre dans la nature, dans le jardin de l’école (si elle n’a pas la chance d’en avoir un, la bonne idée serait d’en créer un avec les enfants. Ce serait l’occasion de remplacer le ciment par des arbres).
Apprendre en lien avec la nature, éventuellement dans la nature, dans les bois : parler, lire, et écrire en s’adressant aux arbres, aux fleurs, aux animaux, ou à telle ou telle plante et les faire parler : écouter et écrire ce qu’ils disent, inventer des dialogues avec la nature.
Il y a aussi matière à repenser certaines activités d’apprentissage de l’écriture avec des éléments naturels, dans le sable, avec des morceaux de bois, des cailloux ou des coquillages, avec ses gestes et tout son corps.
Dans une classe de première année primaire, l’institutrice faisait écrire les lettres dans l’espace avec les bras, les mains, les pieds, avec tout le corps, ou dans du sable, avant de transcrire sur le papier, et travaillait la visualisation.
La visualisation, ce n’est pas seulement imaginer, c’est aussi utiliser de ce que j’ai appelé les “sens internes” pour aider l’apprentissage : “voir dans sa tête” ; entendre (“auditif interne”), sentir, goûter non pas avec nos sens externes, mais en évocation mentale. C’est un trésor pour l’apprentissage, comme l’ont montré la PNL (Programmation Neuro-linguistique), la Gestion mentale, la kinésiologie, la sophrologie, etc.
(A ce sujet, voir l’incontournable de Linda Williams : “Deux cerveaux pour apprendre, le gauche et le droit”, Ed. d’Organisation, 1996) [9]
9. Le passage au sens.
Celui-ci vient quand l’enfant découvre la nature alphabétique de la langue, quand le “déclic” se fait, quand il a compris le principe du système alphabétique, qu’il existe une relation entre le mot écrit et le mot entendu.
L’enfant fait d’abord l’hypothèse que chaque lettre écrite correspond à une syllabe orale. Il abandonne rapidement cette hypothèse et s’aperçoit que la distinction se situe non pas sur le plan de la syllabe, mais sur celui des sons. C’est le début de la découverte du système alphabétique.
D’après des études réalisées avec des enfants de première année, relativement peu d’entre eux ont fait cette découverte avant d’entrer à l’école primaire. Pour certains enfants, cette découverte sera plus difficile. “Moins l’enfant aura développé sa conscience phonologique, plus il faudra l’appuyer ("étayage") dans sa découverte du système écrit.”(Jocelyne Giasson)
“Une des découvertes que doit faire l’enfant dans sa démarche d’appropriation de la langue écrite est celle qui consiste à reconnaître que, contrairement à l’oral, la lecture demande une analyse des mots. Il doit se rendre compte qu’il existe une relation régulière (jusqu’à un certain point) entre l’oral et l’écrit. Il doit comprendre que cette relation entre le mot oral et le mot écrit s’établit par des unités inférieures au mot, c’est-à-dire des syllabes, des parties de mots, des phonèmes.
Cette découverte de la nature alphabétique de la langue, cela n’a pas de sens de la forcer, de la programmer pour toute la classe en même temps, car l’âge du déclic varie très fort d’un enfant à l’autre.
10. Lorsque l’équilibre psychique est remis en cause par l’apprentissage…
Ce que Serge BOIMARE [10] évoque peut déjà se constater dès l’école fondamentale. Pour un tas de raison culturelles, familiales, émotionnelles, certains enfants ou ados bloquent devant les apprentissages, ou s’insurgent."Parasitages émotionnels ou relationnels" dit Serge Boimare.
« T’as pas à me commander, t’es pas mon père ». « La grammaire c’est bon pour les bouffons » « J’peux pas réfléchir quand il y a du silence »…
Comment peut-on conserver notre identité de pédagogue, lorsque nos élèves abordent les savoirs sans avoir pu mettre à distance les parasitages émotionnels ou relationnels qui pervertissent la situation d’apprentissage ?
Nous risquons de transformer ces craintes en attaque du cadre ou en incompétences notoires, car nous ne leur offrons pour seule issue que de se diluer dans des idées de persécution, d’abandon, ou de dévalorisation excessive, qui font des cocktails particulièrement explosifs lorsque ces enfants sont en groupe.
“Si les enfants qui refusent d’apprendre, n’arrivent pas à utiliser leurs peurs dans un contexte constructif, nous devons le prendre en compte, et veiller à proposer un élargissement de la figuration de ces peurs avant de solliciter l’exercice de penser.
Faire en sorte que les inquiétudes deviennent partageables : le rôle de la médiation culturelle.
Comment faire pour que l’objet de l’apprentissage ne devienne pas la cible de projections parasites, ne soit plus chargé de tout ce risque et ce maléfice ? “
“Plus j’avance dans ce métier, et plus je suis persuadé qu’il n’y aura pas de sortie d’un échec lourd, comme celui que vivent ceux qui n’ont pas réussi à assimiler les bases de la scolarité primaire, sans prise en compte des images et des sentiments qui les animent dans la situation d’apprentissage. A condition bien entendu de trouver la voie qui va permettre de les atténuer et de les rendre fréquentables pour que l’exercice de penser devienne enfin possible en leur compagnie.” (Serge BOIMARE, Directeur Pédagogique du Centre Claude Bernard - Paris) [11]
11. On n’apprend pas tout seul.
Un des remèdes à ces blocages et ces peurs d’apprendre, c’est bien entendu cet aspect essentiel : on n’apprend pas tout seul, mais avec les autres, par les autres, ensemble : en cherchant ensemble, en se corrigeant mutuellement, en discutant entre apprenant pour savoir comment écrire telle ou telle mot.
J’ai vu en première et deuxième primaire combien ce foisonnement de discussions était profitable à des ancrage définitif de l’orthographe : ce n’est plus le maître qui dit, qui dicte comment il faut ou, pire, comment il aurait fallu écrire tel ou tel mot, c’est ensemble qu’on se constitue un vocabulaire, un lexique, une bibliothèque de mots qu’on a appris ensemble (on parle de “capital mots”, je préfère parler d’un trésor de mots). Bien sûr le maître n’est pas absent. Sa présence est indispensable, il est le référent, tranche les “différends” (il est intéressant ce mot, qui a la même étymologie que “différent”…), cautionne et surtout est témoin du processus d’apprentissage de chacun, prêt à intervenir au cas par cas, en cas de besoin.
Car il y a des pannes, des laissés pour compte, des largués, des “je ne comprends pas, m’sieur ou m’dame”. L’enseignant est en deuxième ligne, en quelque sorte, car bien sûr c’est l’enfant qui est en première ligne. Cet accompagnement scolaire (coaching), c’est la plus efficace des méthodes d’apprentissage (Albert Bandura). [12]
“Un éveilleur soutient une autre personne en lui fournissant les contextes et les expériences qui mettent en évidence sa meilleure compréhension de l’amour, du soi, et de l’esprit. Un éveilleur « réveille » les autres par sa propre intégrité et sa propre congruence. Un éveilleur place l’autres en contact avec sa propre mission et vision, et en étant lui même entièrement connecté avec sa propre vision et mission.”
Comme dans le coaching, (l’entraîneur personnel établit un rapport de compagnonnage avec l’étudiant et lui montre comment faire), “l’impact de ce qui se passe dans la relation est plus puissant que la tâche montrée elle-même."
12. “Manuscrire”
Un petit mot sur la vigilance à avoir dans l’utilisation des outils informatiques.
J’espère que personne n’imagine faire apprendre à écrire aux enfants sur des machines électroniques ! Quel gâchis ce serait !
Cependant, passer par la tablette peut être très utile pour certains enfants qui en bénéficieront pour leurs apprentissages de l’écriture, comme du reste. Ce n’est certes pas une panacée universelle, mais on peut différencier les outils en fonction des besoins différents des enfants, en particulier les enfants en plus grande difficulté.
Cela peut “soulager” l’apprentissage pour certains, mais cela doit rester exceptionnel.
13. Écrire, c’est écrire à quelqu’un
Écrire, c’est écrire à quelqu’un qui va lire ce que j’ai écrit, où à moi-même. Donc il faut que j’écrive lisiblement. Pour moi-même aussi. Est-ce que je sais me relire ?
Est-ce que la forme de ma phrase est lisible, mes phrases fluides, est-ce que l’agencement des mots et la ponctuation permet aux lecteurs de lire mon texte à haute voix, comme en lecture silencieuse ? Si ma phrase est rêche, heurtée, rocailleuse, elle ne sera pas facile à lire, elle ne coulera pas de source. Plus tard, l’enfant apprendra à écrire de la poésie, il pourra devenir sensible à la musique des mots, aux sons harmonieux, au rythme…
14. Maîtriser différentes façons de s’exprimer.
Et puis un pas plus loin, pour plus tard. Quoique... il n’y a pas d’âge pour commencer à "bien écrire", donc à "bien penser" !
Si écrire, c’est être lu, il faut aussi être compris. Ce n’est pas seulement une question de formation de lettres c’est aussi une question de formulation de la pensée. Est-ce que la façon dont je m’exprime par écrit est compréhensible ?
Et se pose la question de qui est mon lecteur, mon interlocuteur, car je ne vais pas écrire de la même façon selon que je m’adresse à un copain, à un groupe de correspondant de mon école, d’une autre école de mon village, de mon pays ou à l’autre bout du monde, à un parent d’élève, à un adulte, ou à un inspecteur…
Il faudra que j’apprenne à adapter mon langage écrit, mon style, à maîtriser différentes façons de m’exprimer par écrit.
Les possibilités d’expérimenter les différentes façon d’écrire seront multiples. Si la créativité n’a pas été perdue en route, elle sera toujours de la partie !
15. Et pour conclure…
Non seulement le corps est un outil de connaissance, mais il est le passage obligé de toute connaissance, puisque le cerveau sensori-moteur est la voie d’accès aux cerveaux supérieurs qui traitent les informations.
Puisque l’accès à la connaissance se fait par nos cinq sens, c’est le corps tout entier qui est impliqué dans les apprentissages.
Je plaide pour une connaissance non seulement intellectuelle des choses mais aussi sensible (prendre en compte l’intelligence émotionnelle) dans tous les apprentissages, y compris l’écriture et les arts sous toutes les formes.
Chaque culture a ses gestes, sa façon de toucher. Entrer dans les gestes d’une culture, jouer sa musique et danser ses danses, permet de mieux la connaître, de mieux la respecter. De même qu’un geste d’homme n’est pas un geste de femme.
Dans la beauté d’un geste, d’une danse, d’une écriture, d’un dessin, d’un accord musical, on trouve une porte d’entrée dans la réconciliation et la pacification.
Plus il y a de chemins variés pour mieux (se) connaître, affectivement, intellectuellement et sensuellement, plus juste et complet sera le réenchantement du monde et la joie de vivre sur terre ensemble.
Si le geste permet de construire du sens, le geste collectif (et le “faire ensemble”) amène à la co-construction du sens, donc à la connaissance.
Pourquoi ne ferions-nous pas de la beauté une manière de comprendre le monde ?
Et si l’on faisait de l’écriture un art, et de son apprentissage une forme d’art ?
Michel Simonis, 2 septembre 2022, revu en octobre 2022