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Le site du Groupe belge d’Education nouvelle.

Tintin, apprends-moi l’espagnol…
Article mis en ligne le 20 décembre 2018

par Charles Pepinster

Me voilà en Tunisie trois mois avant le Printemps Arabe de 2010. C’est l’inspecteur général le très regretté progressiste Moncef Mahersi près le Ministère de l’Education qui m’a invité à participer à la formation des inspecteurs du primaire et du secondaire de tout le pays.
Il m’a donné carte blanche pour organiser une journée à Tunis, à Monastir et à Djerba avec trois cohortes d’une trentaine de collègues. Comment donner le goût à l’Education Nouvelle largement ignorée ? Le thème de la session, c’est l’innovation en pédagogie.
J’ai choisi un champ nouveau pour tous : apprendre de l’espagnol. Mon allié ? Tintin.

Déroulement de la démarche  
 
J’annonce que dans trois heures, chacun aurait traduit en espagnol un texte écrit en français et jouerait une saynète en imitant, en castillan, des personnages d’une BD. Pari fameux, sidérant.
Je lis à haute voix le texte à traduire en espagnol en fin de séance :
« La prière du Grand Prêtre Inca
Oh ! Grand soleil, puissant astre du jour, toi qui fis le monde, toi qui l’animes, je te crois capable de purifier les chiens d’étrangers. Ne cache pas ta face si brillante quand la loupe mettra le feu au bûcher ».
L’incrédulité est à son comble, « Moi, je ne pourrai pas ! »… Et pourtant tous y arriveront grâce à l’auto-socio-construction du savoir que les participants vivront pour s’en souvenir à jamais et pour effectuer des transferts dans leur propre didactique ; le but de la séance étant la formation à des méthodes d’appropriation du savoir de manière créative et solidaire.

D’autres consignes :
 1. chacun va lire en silence les pages 58 et 59 de « El templo del sol »
pendant +/- 20 min où une éclipse solaire sauve Tintin et ses deux amis
 2. par groupes de quatre, vous allez comprendre sans dictionnaire
 3. pour aider les autres groupes, vous écrirez les traductions découvertes en vocabulaire sur des feuillets jaunes à mettre à la disposition de tous sur une table où je vérifierai l’exactitude des découvertes. Les trouvailles concernant la grammaire espagnole seront écrites sur des feuillets bleus.
 4. Si vous êtes bloqués, vous pourrez envoyer un des vôtres s’informer dans les autres groupes. Silencieux, j’organiserai la recherche avec rigueur et bienveillance en veillant à dénouer les éventuels blocages.

Retour au travail individuel : chacun reçoit le texte en français à traduire en espagnol dans l’interligne SANS recours ni à la BD, ni aux notes prises, ni aux autres. Tout dans la tête. Ensuite, fusion des 4 thèmes en une seule traduction pour chaque quatuor.
En assemblée, je découvre la prière du Grand Prêtre Inca en français écrite en grand au tableau. Un des participants doit en écrire la traduction commune en castillan dans les interlignes, sous la dictée de tous les groupes ; il aide à valider les réponses.
Phase orale : chaque groupe prépare une saynète en espagnol en s’inspirant de la BD où tout le monde doit avoir un rôle, puis, c’est le moment du spectacle.

Applaudissements vifs.

Analyse réflexive : ressenti, facilitateurs à l’apprentissage, formation citoyenne etc.

La traduction finale est toujours exempte d’erreurs (à une ou deux exceptions près). Joie partgée.
Après chaque séance, des inspecteurs (tous parfaits francophones) m’ont dit avoir envie d’apprendre l’espagnol, beaucoup me demandaient de traduire des bribes de conversation…
Cette démarche s’inspire de « La lettre en polonais » chère à nos amis français du GFEN. Merci.

Une précaution : les participants ispanophones deviennent observateurs silencieux ; ils raconteront, à la fin de la séance, comment les apprenants apprennent sans être enseignés. Cf : Jacotot, le maître ignorant (à rencontrer sur un moteur de recherche).

Ch.P. pepinstercharles chez yahoo.be


Profs de langue, ceci est pour vous

Renforcer les apprentissages ?
Y mettre l’énergie du plaisir (libido) ?
Décupler les forces de chacun par l’entraide ?
Faire que les élèves gagnent tous l’estime de toute la classe ?
Permettre au professeur de quitter son statut de censeur pour devenir admirateur de tous les élèves ?

Comment ? En remplaçant les examens par des mini projets.

Matériel :
Des albums de Tintin, en anglais, néerlandais, allemand ou espagnol… selon la langue étudiée. Des albums du Père Castor en langue cible pour les plus jeunes, Mafalda etc.
Tâche :
Réaliser à deux un mini chef-d’œuvre pédagogique solidaire au lieu des contrôles individuels :
Choisir une séquence dans un album et la jouer au théâtre durant 5,10,15 minutes environ selon le degré d’avancement de la classe.
Si le niveau de compétence est suffisant, écrire à deux une préface pour un album d’Hergé, en langue seconde.

Pourquoi cette proposition ?

Beaucoup de professeurs remarquent que durant les examens, les élèves n’apprennent rien (8 jours à Noël et à Pâques, 15 jours en juin… est-ce bien sérieux ?)
Les pédagogues qui voudraient abandonner les examens redoutent une chute du rendement des élèves, le laxisme, les reproches venant de tous horizons … si aucune solution préférable n’est envisagée.

Heureusement Tintin est arrivé !

Une chance : la plupart des professeurs et des élèves connaissent des albums d’Hergé. Le référentiel est donc familier, facteur propice à l’apprentissage des langues. De plus, la langue orale des échanges entre les personnages de ces B.D est particulièrement riche et adéquate.
D’autre part, tous les albums sont édités dans la langue du cours. C’est le rôle du professeur (ou des élèves en recherche - projet) de trouver les albums et les moyens de se les procurer.
Au point de vue scénique, le découpage du scénario convient particulièrement bien à une représentation théâtrale ou filmique.
Il est bon de savoir que " Les bijoux de la Castafiore" et " Les sept boules de cristal" sont mis en scène par des troupes de théâtre.
En outre, la réflexion philosophique est éveillée sur les valeurs morales véhiculées par Tintin et cet aspect mérite l’ouverture de débats. Le choix d’un album comme "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", pour en écrire la préface, s’avère particulièrement judicieux. Tintin défenseur des faibles, recherche dans tous les albums, en particulier dans Le Lotus Bleu.

La force est dans le groupe.

En arithmétique 1+1=2. En pédagogie 1+1=3.
C’est-à-dire que les groupes / duos prévus par le professeur dégagent une forte énergie, soutenue par l’adulte.
Le rôle de ce dernier est essentiel :
 Entrer dans l’étude de préfaces de bouquins (en français pour le professeur de français ou même en français pour le professeur de langue) pour trouver les règles d’écriture de ce genre littéraire.
 Constituer des groupes d’élèves où l’hétérogénéité sera la règle.
 Fixer les délais, soutenir les défaillances, faire appel à des aides extérieures (théâtre par exemple)
 Insuffler une atmosphère faite du " TOUS CAPABLES", de
non - jugement, d’admiration, d’attentes positives.
 Installer, en connivence, l’exigence de la mémorisation, de la prononciation, de la mise en scène…
 Persuader les élèves, les parents, voire les collègues, que réaliser un projet qui a du sens c’est utiliser les compétences acquises tout en continuant à apprendre.

Et ensuite ?

Il est clair que des apprentissages grammaticalement structurés, la mémorisation du vocabulaire, accompagneront l’élaboration de ce mini chef- d’oeuvre pédagogique et que d’autres moyens comme la chanson, les films, les journaux continueront à être exploités.

Charles Pépinster
1992


Réactions de professeurs de langues secondes.

La FELSI [1] a organisé une journée de formation pour une petite trentaine de professeurs de langues secondes en primaire et en secondaire à Bruxelles le 16 novembre 2018 confiée à Charles Pepinster du Groupe Belge d’Education Nouvelle (gben.be).
Matinée : apprendre l’espagnol par la démarche : « Tintin, apprends-moi l’espagnol » ci-dessous avec l’album « El templo del sol » comme support.
Après-midi : partage informel d’expériences et de désirs en une Auberge Espagnole Pédagogique + une information interactive sur le chef-d’œuvre pédagogique applicable au cours de langue.

Réactions rédigées individuellement à l’incipit : « Veuillez écrire tous les mots qui vous viennent en tête après cette animation ».

Voici toutes les réponses, sans restriction :

Coopération – plaisir – découverte – lien avec mes souvenirs – surprenant – résultat + - deviner la grammaire espagnole, c’est chouette – entraide – partage – écoute – réflexion – observation – débrouillardise – contexte riche – observation - autonomie – entraide – découverte – observation – échange – entraide – amusement – entraide – réflexion – concentration –découverte – recherche – activité – partage de savoirs – surprenante – connaissance – ludique – recherche – analyse – découverte – indices utiles – échange – collaboration – entraide – co/construction – co/pillage – collaboration – apprentissage – déduction – analyse – idées – collaboration – frustration – patience – objectif commun – agréable – déductif – collaboratif – bienveillance – gai – entraide – collaboration – déduction – coopérer – surpris – découverte – échanges – découverte d’une langue – intuition – décoder – exercer – retenir – variations dans les modalités de travail – construction - communication – jeux de rôles – ambiance positive – apprentissage – timing – théâtre – groupes – échanges – apprentissage inconscient – compréhension – du sens grâce aux images – force du collectif – coopération – bienveillance – confrontation – échanges – facilitateur – découverte d’une langue étrangère – coopération – entraide – respect.