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Education et économie
Article mis en ligne le 2 décembre 2015
dernière modification le 12 décembre 2016

Lettre adressée aux participants du LIEN (Lien International d’Education Nouvelle à Malonne - été 2003

C’est la finalité de l’éducation qui est aujourd’hui en question. A qui les enseignants doivent ils rendre des comptes ? Certainement pas aux chefs d’entreprise qui ont besoin d’une main-d’œuvre efficace et docile, certainement pas aux autorités civiles ou militaires qui rêvent de citoyens disciplinés et facilement satisfaits. Même pas aux parents, qui sont trop enclins à vouloir concrétiser les rêves qu’ils ont faits pour leurs enfants.

Ils ne doivent de comptes qu’aux jeunes eux-mêmes : les ont-ils aidés à définir leur autonomie et à lui donner un contenu ? Insistons, les familles ne doivent entrer que timidement à l’école ; les autorités civiles qu’avec réserve, et les militaires et les entreprises pas du tout.

L’école intègre beaucoup trop les concepts qui ont cours dans le système productif. Il se peut que dans une usine ou un commerce il soit judicieux d’utiliser au mieux les individus, malgré tout ce que cette lutte permanente entraîne comme destruction des personnes. Mais l’école n’a ni les mêmes contrainte, ni les mêmes objectifs. A l’école le concept de rentabilité n’a aucun sens. Il faut forger des concepts spécifiques pour le système éducatif. Celui de hiérarchie en valeur doit y disparaître au profit de celui de différence.

C’est là un point essentiel qui, entraîne de proche en proche une véritable révolution du fonctionnement de l’école. Les notions de tri, d’élimination, de concours ne devraient plus avoir de sens. Il faut remplacer la compétition (qui consiste à se comparer à l’autre avec le désir de le dépasser) par l’émulation (se comparer à l’autre avec le désir de s’améliorer soi-même). Certes un tel fonctionnement n’est guère cohérent avec ce qui se passe dans la société ; mais le rôle de l’école n’est-il pas de transformer la société, non de l’aider à persévérer dans ses erreurs.

Albert Jacquard
Juin 2003



extraits de "Inventer l’homme"

Voici deux textes extraits du livre "Inventer l’homme" d’Albert jacquard.

1

"Un animal qui nait est un ACTEUR qui devra jouer une pièce écrite par ses gènes, dans un décor fourni par le milieu.
Un Homme qui nait est un AUTEUR chargé d’imaginer une pièce, de la jouer dans des décours qu’il peut largement modifier.
A lui de s’inventer lui-même.
L’Acteur devient Auteur - peut-être est-ce cela la spécificité du "Sapiens".
C’est un destin exaltant.
Mais cette possibilité, offerte pour tous par la nature, n’est accordée qu’à un petit nombre par la société des hommes.
Combien d’entre nous n’auront d’autres choix que de jouer une pièce écrite par d’autres et déjà mille fois jouée par d’autres !

Pour que chacun ait la possibilité de s’inventer, il faut d’abord inventer l’humanité."
(p 101)

2

Ce sont les mises en relation entre les pièces élémentaires que sont les cellules cérébrales, les neurones qui permettent à l’homme de s’inventer lui-même.

Ce n’est donc pas en lui donnant des centaines de briques de savoir à agencer qu’on va lui permettre de devenir auteur de sa vie, encore que le nombre de briques ne soit pas indifférents, mais surtout en lui faisant faire des mises en relations, multiples, diverse, souples, créatives, entre ces briques de savoir...

Par quel mécanismes sociaux, éducatifs, scolaires, familiaux, la société en arrive-t-elle à priver LA PLUPART DE SES ENFANTS de cette réalisation effective de devenir homme auteur de sa vie, homme qui s’invente, les réduisant à devenir de simples reproducteurs d’histoires connues.
(p. 168 - 169)