"Le système éducatif, au lieu d’être le domaine privilégié ou chacun prend conscience de ses possibilités et apprend à les exercer, est organisé le plus souvent de façon à inciter chacun à couper ses propres ailes. Au lieu de favoriser le développement de personnalités contrastées, on s’efforce de produire en série des individus conformes aux normes." Albert Jacquard (cité par Thomas d’Ansembourg)
Une rubrique passerelle
Les urgences de civilisation sont-elles suffisamment prises en compte à l’école ?
Autrement dit, les grandes questions qui mobilisent maintenant de plus en plus de secteurs de la société résonnent-elles dans les classes ?
Certains en doutent.
Au GBEN, après avoir organisé l’an dernier une journée "Réveiller le rêveur, changer le rêve", avec une équipe de la "Pachamama alliance", après les remarquables interventions et formations de Charles Pepinster et Eugénie Eloy auprès des communautés indiennes d’Amazonie, après les ateliers d’écriture et Art plastiques de Marie-Jeanne Vausort, en forte connexion avec la nature, voici que le programme de l’année scolaire 2009-2010 fait la part belle aux urgences de société, notamment au départ des réflexions d’Edgar Morin.
Toutefois, la question demeure : ces urgences, devenues centrales pour l’avenir du monde, des hommes, des sociétés, de la biodiversié, de la planète, en un mot, ont-elles suffisamment leur place à l’école ?
J’entends ici et là une interpellation insistante : dans l’alerte climatique et la sauvegarde des ressources de la planète, la dimension pédagogique, éducative, devrait être prise en compte, et primordiale.
Eveiller les enfants et les adolescents à aimer la nature, à s’y trouver à l’aise et avec plaisir, à la connaître, à y voir la profondeur et l’unité, à se penser comme non séparé, faisant partie intégrante de tout ce qui vit, c’est aussi sortir du seul entraînement intellectuel de la rationalité coupée de la vie réelle, éviter cette pédagogie "hors sol" dénoncée par Pierre Rabhi, une école sans contact avec la terre, avec les plantes et les animaux, une école abstraite, sans prise sur la réalité du monde vivant.
Les grands problèmes du moment, les "urgences de civilisation" comme on dit maintenant, ont donc leur pendant scolaire.
En définitive, comment introduire sur un site comme celui du GBEN, voué au monde scolaire, des pages amenées par les vents qui soufflent dans le monde extérieur, sans apparaître dispersé, hors sujet ?
Jeter des ponts ?
Enjamber les fossés ?
Profiter des fissures dans les murs bétonnés de l’institution scolaire ?
Disons mieux : remplaçons "fissures" par "interstrices". Après tout, s’il y a des fissures, si le bateau (le paquebot !) prend l’eau, c’est seulement le signe qu’il a besoin d’être réparé. C’est, entre autre, pour cela que l’Education nouvelle est toujours nécessaire… et toujours nouvelle…
Faire pousser dans les interstices des plantes qui porteront des fleurs et des fruits.
Profiter de ces interstices pour créer ensemble des espaces de liberté. Et d’innovation.
Je poursuis l’image : les fruits portent semences, que les vents porteront hors de l’école. Dans les familles, dans les modes de vie, dans la vie sociale, dans la culture...
Vents du large pour aérer l’’école, et pour y faire entrer, sans affoler, les échos des crises.
Souffles de l’intérieur, pour emporter les pratiques novatrices et les avancées vers d’autres classes, d’autres écoles, d’autres quartiers et villages, vers la "société civile".
Un site comme celui du GBEN s’accorderait-il la liberté d’une rubrique extra-scolaire ? Où prendraient place un certain nombre d’articles, d’information qui ne seraient pas directement utilitaires, réutilisables et "monnayables" en classe, mais dont peut-être les enseignants et les profs pourraient se nourrir, qu’ils pourraient méditer, qui les aideraient à entretenir leur joie de vivre, leur "enchantement" à faire la classe ?
Bon, disons des thèmes, des sujets qu’ils pourraient même partager avec leurs élèves non comme des "matières" à voir, mais comme une respiration, une convivialité, un partage des émerveillements, des trouvailles, des émotions, des idées lumineuses communes. Non pour se regarder le nombril en se disant comme on est beau et gentil, mais pour avoir des ressorts communs pour agir sur le monde.
Seymour Papert, dans "jaillissement de l’esprit" disait qu’un enseignement - il parlait des mathématiques, mais n’est-ce pas valable pour tout apprentissage ? - doit donner de la "puissance ajoutée". Un pouvoir plus grand sur sa propre vie, sur le monde qui nous entoure. Pouvoir est un mot piégé. Il ne s’agit pas d’un pouvoir d’emprise, mais d’un pouvoir intérieur, une capacité plus grande d’agir. D’agir pour faire changer les choses.
L’école est assujettie à un objectif social dominant : il faut apprendre à agir pour avoir plus d’argent (un métier rentable), ou plus de pouvoir sur les autres (monter dans la hiérarchie sociale), ou plus de terre et de biens, de plus grosses voitures, ou de plus grandes maisons... Plus de "pouvoir" d’achat, pour "pouvoir acheter" plus...
L’école ne pourrait-elle se faire plutôt le relais d’une impulsion à agir pour faire changer ce qui ne se passe pas bien sur la planète ?
Pour aller vers ce qui devrait s’y passer mieux : survie de la planète, société équitable, conditions de travail, convivialité sociale, santé, équilibre affectif et mental, ouverture au silence, à la poésie, à une intériorité faite de silence et de contemplation, sentiment d’appartenance à la communauté vivante tout entière (homme, plantes, animaux, paysages, patrimoines...), à ce navire-planète dans lequel nous sommes tous embarqués, qu’il faut faire virer de bord parce qu’il fonce sur les derniers icebergs qui n’ont pas encore tout à fait fondus…
Changer vers quoi, dans quelle direction ? Nul ne sait précisément, car le but se construit en chemin, mais il y a des balises. On peut, par exemple, regarder en direction d’Edgar Morin qui évoque les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Mais il y a aussi un tas d’autres auteurs qui ont partagé leur vision d’un "nouveau rêve", dont Illich n’est pas des moindres.
Et puis, il y a une boussole incontournable : aller vers un monde viable pour nos enfants et les enfants de nos enfants. C’est simple non ? Comme les amérindiens, simplement se demander quelles conséquences auront nos choix, nos décisions et nos actes sur les sept générations à venir.
Sept savoirs. Sept générations.
Et profiter des interstices...
Michel Simonis
Pour télécharger le texte complet du document "Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur", aller sur le site de l’UNESCO.