Et si nous envisagions la dictée à l’adulte comme incitation à la production d’écrits en maternelle quelque soit l’âge de nos élèves ?
Dictée à l’adulte ?
Quoi ? Comment ? Pourquoi ?
– En premier lieu viennent l’enrichissement…et la production,
– En deuxième lieu viennent l’enrichissement… et la production,
– En troisième lieu viennent l’enrichissement…et la production.
Lire, lire, lire à l’enfant, aux enfants, des histoires, des poèmes, des recettes, des modes d’emploi, des comptines, des petits mots, etc. Bref, enchanter par l’écoute de beaux textes variés, voilà qui est primordial parce que subliminal, profondément culturel.
La création d’écrits s’enracinera sur un terrain fertilisé, un terrain où les variations des formes d’écrits feront partie de la vie de chaque jour, où les formes diversifiées de textes seront utilisées pour le plaisir, pour réaliser une recette de cuisine, pour communiquer entre classes, pour se bercer, pour rêver, pour s’effrayer…
En permanence, entendre, écouter, se laisser charmer par la beauté de la langue, prendre conscience que ce n’est pas la même « musique » si l’écrit est utilitaire, ou psalmodié, ou injonctif, ou rimé, ou descriptif, ou rédigé en discours direct …
Anecdote :
La récréation est terminée, tous s’installent sur le tapis et un enfant demande à la maîtresse : « Tu nous lis les mots qui chantent ? ».
La maîtresse prend un livre de poésies, poésies choisies, d’auteurs connus et reconnus : Desnos, Queneau, Prévert, Verlaine… l’ouvre au hasard et lit tranquillement donnant sens à la lecture par l’intonation de voix. L’auditoire est muet, concentré, sous le charme. Soudain un enfant kurde se lève et parle dans sa langue. « Tu vois, dit-il, ce n’est pas la même musique » Un autre, italien de langue maternelle fait de même et ce moment magique se termine par un petit marocain qui psalmodie…un verset du Coran.
Qui sait !
Différencier la langue écrite de la langue orale c’est tout un apprentissage que certains enfants ont appréhendé avec le lait maternel ou le biberon. On n’écrit pas comme on parle, les mots lus doivent être chargés des émotions que les mimiques et le langage corporel apportent à la langue orale. Les mots lus à haute voix sont enrichis par l’intonation mise expressément par le lecteur.
Des parents lisent à leurs enfants dès le plus jeune âge, d’autres racontent des histoires sans nécessairement les lire, d’autres encore ne racontent, ni ne lisent et les enfants sont parfois confrontés à une langue d’injonctions utilitaires : « Fais ceci, ne fais pas ça, arrête, regarde la TV, assieds-toi, range tes affaires, etc. »
Des enseignants bien intentionnés situeront alors ces petits dans des milieux dits « culturellement défavorisés » ou les affubleront du terme d’ « handicapés socioculturels ».
Bon ! Même si nous rejetons ces déclassements, le fait est là : l’approche est différente selon la culture familiale.
Que faire ? Nous avons 3 à 4 années de maternelle, pour enrichir la connaissance de tous vis-à-vis de l’approche de l’écrit, des écrits.
Donc il y a des « mots qui chantent », des « mots qui font peur », des « mots qui rassurent », des « mots du rêve », des « mots pour jouer au théâtre », des « mots qui indiquent le chemin pour réaliser une recette ou un bricolage ou des règles d’un jeu »…
Ces mots s’organisent en textes, en écrits, ils s’appellent : poésie, conte, histoire, lettre, mode d’emploi, règles du jeu, pièce de théâtre, aide-mémoire…
Imprégnation et Production seront liées. Simultanément : enrichissement et création alternent. En duo un adulte et un enfant ou en petit groupe 4 ou 5 enfants avec un adulte, ou collectivement en groupe classe, les enfants deviennent auteurs.
Le cahier de dessins et textes écrits :
Dès 2 ans et demi, et cela jusqu’à 6 ans, ce sera une succession de cahiers tout simples, souples, dans lesquels les enfants seront incités à dessiner ce qu’ils souhaitent sur la page de gauche et ensuite à raconter à l’adulte leur dessin, celui-ci l’écrira sur la page de droite. Toujours faudra-t-il insister sur le fait que le dessin sera « raconté ». C’est un cahier de textes pas seulement de dessins.
L’adulte intervient : Qu’est-ce qui se passe dans ton dessin ?
Raconte-moi…
Au début le petit énumère : « C’est une auto, c’est une maison, c’est un ballon » la maîtresse intervient pour structurer la pensée : « C’est l’auto de qui ? Qui est-ce qui joue au ballon ? » Si l’enfant ne répond pas, la maîtresse écrit les mots sans commentaires et ajoute : « Si tu veux, tu peux recopier les mots en dessous des miens. » Quelques gribouillis illisibles s’écrivent. Sans commentaires de la maîtresse.
Après quelques temps, l’enfant va raconter à sa façon : « C’est mon papa qui revient, eh ben, ya ma maman dans la maison, euh…le ballon est sur la route… »
Tu me dis : « Mon papa revient en auto et ma maman est dans la maison ? C’est bien ça ? Cela te va si j’écris cette phrase ? »
« Oui mais ya aussi mon petit frère qui joue au ballon et alors il l’a fait rouler sur la route…, »
Je répète, dit l’adulte : « Mon papa revient en auto, ma maman est dans la maison mais mon petit frère a fait rouler le ballon sur la route » Tu es d’accord ? C’est bien ça que tu veux dire ?
« J’écris la phrase sur la page de droite et si tu le souhaites tu peux la recopier en dessous. » Avec le récit de plus en plus construit la reproduction écrite de la phrase se fera de plus en plus lisible.
Amener l’enfant à différencier l’oral de l’écrit. On n’écrit pas tout à fait comme on parle, il faut passer par de l’oral « écrivable » (L.Lentin). Petit à petit la production d’écrit s’enrichira de phrases complexes. Ici par exemple : « Mon papa revient en auto et voit le ballon de mon petit frère qui roule sur la route. Maman qui est dans la maison crie : Attention tu vas l’écraser ! »
Plus l’enrichissement sera fréquent, plus les textes deviendront explicites et c’est en dessinant que les enfants anticiperont l’histoire qu’ils veulent raconter, ils passeront de la juxtaposition d’objets à nommer, à de véritables saynètes de la vie courante, ils y mêleront les sentiments comme la joie, la colère, la peur ou la tristesse. Ils comprendront aussi que la reproduction du texte écrit permettra à tous de lire ce qu’ils ont vraiment écrit.
La permanence de l’écrit et son utilité se comprennent très tôt.
Souvent les enfants redemandent qu’on leur lise une histoire aimée et souvent lue. Si la maîtresse ou la maman passe une phrase, ou change un mot, le gamin s’étonne : « Non tu as oublié… » « Non, ce n’est pas comme ça… »
Vers 4 ou 5 ans il ou elle dira peu à peu : « Il est où le mot LOUP ou LAPIN ou MANGE ou PEUR… »
D’autres approches de production d’écrits sont très utiles et se vivront au Jardin d’Enfance, où petit-à-petit l’aisance face à cette production permettra une effervescence, une libération de l’imaginaire, un dépassement par l’humour, la mise à distance.
Quelques réflexions destinées à ne pas tarir la source de ces productions :
– Jamais de jugements négatifs,
– J amais de moqueries des camarades devant des maladresses,
– Pas de socialisation des productions sans accord préalable de l’auteur,
– La production poétique ne s’explique pas, ne se corrige pas,
– Seuls les écrits conventionnels, lettres, demandes, invitations etc. seront normalisées et corrigées car ouvertes socialement,
– Des dessins écrits de type « intimes » resteront impérativement intimes !
Tout en nous enrichissant, en écoutant la lecture de livres et en nous exerçant à la production d’écrits, nous passerons obligatoirement par « LA GRAMMAIRE DE L’IMAGINATION » de Rodari, indispensable. Ce livre nous apprendra de façon absolument merveilleuse à débloquer notre imaginaire, à nous désinhiber et à jouer sur la gamme des humours jouissifs.
Eugénie Eloy (GBEN)
12/12/2012