Charles Pepinster et la pédagogie du chef-d’œuvre
D’abord instituteur chez les Jésuites à Charleroi, Charles Pepinster aurait pu suivre sagement le système pédagogique en place s’il n’avait, par ses lectures et ses rencontres, été éveillé peu à peu à d’autres méthodes ... En 1978, le jeune inspecteur s’oppose ouvertement à sa hiérarchie face au système d’examens régionalisés mis en place. Dénoncé pour rébellion, il est convoqué à Bruxelles, où il présente sa pédagogie du chef-d’œuvre (qui recevra le Prix de la Reine Paola en 1996) : “À ma grande surprise, mes propositions ont été très bien reçues. J’ai saisi l’idée de Freinet de faire la preuve d’un savoir au lieu de subir des épreuves. Ainsi s’est installé le chef-d’œuvre pédagogique, qui propose aux élèves de devenir des êtres actifs et créateurs.” Cette pédagogie nouvelle, qui prône la solidarité, le partage de compétences, la motivation intrinsèque et la bienveillance, Charles Pepinster va consacrer sa vie à la diffuser en Belgique et en Amérique latine. Elle est aujourd’hui mise en œuvre dans une dizaine d’écoles belges - Chièvres, Arlon, Attert - , où elle donne beaucoup de satisfaction aux enseignants comme aux élèves.
“Dans la pédagogie du chef-d’œuvre, l’élève élabore de façon créative et solidaire le savoir à faire ensuite apprendre aux autres, de telle manière qu’il va mettre ses condisciples en recherche” explique Charles Pepinster, également fondateur du Groupe belge d’Education nouvelle. “Il faut obliger les élèves à être solidaires, ils ne le sont pas spontanément ! Quand on fait apprendre aux autres, on apprend deux fois.” En fin de cycle primaire, l’élève sera en mesure de présenter aux autres son propre “chef-d’œuvre pédagogique”, culturel et multidisciplinaire. Ce nouveau paradigme s’inscrit dans une philosophie de l’éducation faite de liberté, de confiance, de non-violence, d’invention et d’entraide, d’où le harcèlement et la compétition sont absents. Les sujets des chefs-d’œuvre sont très variés - des sorcières à la vie des arbres en passant par la mythologie grecque, les volcans ou la biodiversité - , et tous doivent être illustrés par des mathématiques, de la poésie, de la musique, de l’histoire, des sciences, de la géographie... La présentation, interactive, dure toute une matinée. L’atmosphère est festive, et les parents, souvent émus. “Dès l’école maternelle, il faut habituer les enfants à prendre la parole, à choisir leurs sujets pour ensuite les partager aux autres.”
En 1992, l’homme prend sa retraite anticipée pour cofonder une école publique, gratuite et alternative, à Buzet-Floreffe : “J’y ai fait la classe tous les jours pendant quatre ans. Partant du principe que tout ce qui n’est pas interdit est permis, nous avons remplacé les devoirs imposés par des devoirs au choix, supprimé les examens individuels, arrêté de punir ou sanctionner les élèves et de donner des points.” Une philosophie à visée progressiste, écologiste et humaniste, souvent accueillie avec méfiance par les chantres de la pédagogie traditionnelle. “Dans Le système scolaire classique, les élèves, il faut les tenir, on en appelle donc au chantage des points et à la compétition ! Si on supprime les points, on doit susciter la solidarité, la créativité, la motivation de chacun. Et il faut que les profs soient en mesure de le faire ! Qu’ils deviennent eux-mêmes des artistes dans leur profession. Les enseignants doivent s’indigner et s’engager. Le monde de I’enseignement est un monde d’analphabètes sociologiques : on a entre nos mains la destinée de l’avenir, la possibilité d’éduquer des êtres solidaires et créatifs, capables d’inventer ensemble, et on n’en est le plus souvent pas conscient !“
Contact : pepinstercharles chez yahoo.be
80 Imagine, mars - avril 2023