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Mais que fait-on à la Freie Schule de Berlin ?
Article mis en ligne le 16 novembre 2014
dernière modification le 21 juin 2016

Documentaire sur une école alternative de Berlin, la Freie Schule Tempelhof

La Freie Schule Tempelhof (ou Freie Schule in Berlin) est une école primaire à statut associatif (Eltern Initiative, initiative parentale). Elle est installée au sud de Berlin, dans les anciens locaux de l´UFA Fabrik. Ancien haut lieu des mouvements contestataires berlinois, l’UFA Fabrik s’est embourgeoisée avec le temps. Le décor reste industriel mais, que tout est propret et bien rangé ! Entre le pain bio et le cours de yoga, seul un bâtiment a conservé une apparence de squat sans concession : c’est l’école.

Cette apparence relève de choix, comme celui de ne pas interdire les graffitis aux enfants, mais aussi du manque de moyen financier. Les aides publiques ne pouvant suffire à assurer son fonctionnement, l’école survit grâce à des frais de scolarité limités par la volonté d’éviter la sélection par l’argent. Le coût de la scolarité est de 100 euros par mois (et 40 € de demi-pension). Cette somme est partiellement indexée sur les revenus ce qui permet de faire payer aux parents les plus fortunés une partie des frais des moins favorisés (20 % des enfants) ramenés à 100 € tout compris. À la Freie Schule Tempelhoff, on ne trouve ni classe (que ce soit au sens de groupe constitué ou de salle de cours), ni cloche, ni règlement intérieur, ni emploi du temps, ni programme scolaire… Alors, que fait-on à la Freie Schule ? Rafaèle Layani y a tourné un film (cf. encadré) dont j’ai présenté quelques extraits lors du stage. Les multiples questions laissées sans réponse, au cours d’un atelier trop court, m’ont poussé à écrire cet article largement constitué de traductions d’extraits du site Internet de l’école (http://www.freie-schule-in-berlin.cidsnet.de), en italiques dans le texte : La Freie Schule in Berlin a été ouverte en 1979 et reconnue officiellement en novembre 1990 … L’école a été fondée à l’initiative de parents convaincus que les enfants veulent apprendre et peuvent apprendre par eux-mêmes pour peu qu’on leur fournisse un espace adéquat … Ici apprendre ne signifie pas acquérir des connaissances selon des règles fixées par les adultes. Toute expérience faite par l’enfant, qu’elle relève du champ cognitif, émotionnel ou social, participe de son développement … On apprend tout le temps : par l’utilisation d’un outil, par la relation à l’autre, par le jeu… Cela explique la particularité de notre pratique … Les enfants choisissent librement et individuellement le thème et le moment de leurs séances de travail avec les enseignants, libre à eux de préférer faire autre chose indépendamment des adultes. Ces idées de base peuvent être résumées par la formule Freiwilligkeit des Lernens und Gleichwertigkeit aller Tätigkeiten : « libre choix des apprentissages et égalité de valeur de toutes les activités ». La liberté laissée aux enfants loin d’un désengagement est un retrait justifié, par la croyance aux vertus éducatives de l’autonomie.

L’autonomie jusqu’au bout

Dans notre école, les enfants peuvent faire, ou ne pas faire, ce qu’ils veulent, dans la limite ou cela n’entre pas en conflit avec les souhaits et besoins des autres enfants et adultes. En cas de conflit, ils peuvent, selon les cas, chercher à imposer leur choix, le modifier ou y renoncer. Quoi qu’ils fassent, ils apprennent par eux-mêmes, à définir leurs droits et leurs besoins et à les défendre face au groupe. Ils apprennent aussi à accepter la déception. Cette capacité à définir, défendre ou renoncer de façon autonome, en lien avec les droits des autres, est un apprentissage important pour la vie future dans lequel l’acquisition de connaissances joue un rôle secondaire. Le règlement, imposé par l´adulte ou même la communauté, déresponsabilise, il invite à suivre des préceptes et dispense l’enfant d’un travail sur soi lui permettant de trouver sa place dans le groupe de façon autonome. Cette insistance sur l’apprentissage de la relation à l’autre fait-elle passer l’acquisition des connaissances au second plan ? On pourrait le croire à la lecture de cette description d’une journée à la Freie Schule où disparaît presque tout ce qui constitue la fonction classique de l’école. 8 h 30 : les enfants arrivent. Certains attendent déjà devant la porte celui d’entre nous qui est chargé du service d’ouverture. Deux adultes se chargent de la cuisine tandis qu’un troisième va faire des courses seul ou accompagné par quelques enfants. De 9 heures à 10 heures, c’est l’heure du petit-déjeuner, certains mangent, d’autre non. On discute. Que s’est-il passé depuis hier ? Qu’as-tu fait ? Avec qui ? Y’avait quoi à la télé ? Quelques enfants se sont retirés seuls ou à deux dans d’autres pièces pour terminer leur nuit ou pour commencer quelque chose. 10 heures : tout le monde devrait être là. Les enfants s’entendent entre eux ou avec des adultes sur leurs projets pour la journée : jeux, construction, peinture, apprentissage de la lecture… Chaque adulte se rend dans sa salle où il se tient à la disposition des enfants. 13 heures : c’est l’heure du repas désiré, accepté ou subi comme une interruption malvenue au milieu d’activités beaucoup plus importantes. On peut, toutefois, emporter son repas là ou les choses se passent. Entre 16 h 30 et 17 heures fermeture. C’est un moment difficile de négociation. Il y a toujours des enfants qui ne veulent pas quitter l’école. Certains veulent absolument terminer quelque chose, d’autres trouvent enfin le calme et le temps pour revenir avec nous sur un événement de la journée ou nous rappeler la promesse de faire un jeu avec eux. Des enfants utilisent le téléphone de l’école pour appeler leurs parents ou amis afin de préparer leur soirée ….

Un enseignant s’explique

L’école défend l’idée de la singularité de chaque enfant mais aussi de chaque moment de la vie, ce qui l’amène à regarder avec défiance toute théorie pédagogique prétendant pouvoir s’appliquer à tous à heures fixes. Ici la relation d’apprentissage est une aventure humaine indéterminable a priori, comme nous permet de le comprendre cette description de son travail par un enseignant. Le but de mon travail est d’aider les enfants à fabriquer ce qui leur permet d’exprimer leurs idées, leur imagination ou à formuler des réponses aux questions qu’ils se posent d’une façon qui les satisfasse. Cet objectif est atteint lorsque l’enfant accepte le résultat de son travail, le laisse de côté et se tourne vers de nouvelles expériences. À la Freie Schule, ma salle est un amoncellement de matériaux et d’outils : colles, papiers, cartons, feutres, pinceaux, peinture, boîtes, machines à écrire, vieux appareils électriques, kit de base pour des expériences de physique ou de chimie ….

Les apprentissages ?

Du point de vue de la culture scolaire classique, les enfants apprennent ici à s’exprimer oralement (décrire, expliquer, justifier…), à compter (le nombre de baguettes nécessaires…), à mesurer (à l’échelle du mètre ou du centimètre), à additionner et soustraire (les mesures, les quantités…), à écrire (panneaux de chantier, inscription sur véhicule, liste de matériaux, notices et mode d’emploi, affiches, explications, remarques sur une image, bulle de BD), à dessiner (croquis, plan, plan 3D). Cet enseignement est repris et répété chaque fois qu’il peut être utile à la réalisation d’un objet et ce, principalement, entre les enfants eux-mêmes. Il ne constitue pas un objectif en soi. Ici les enfants apprennent à juger de la faisabilité d’un objet et à se lancer eux-mêmes dans sa réalisation, à communiquer, à coopérer et à s’écouter. De leur côté, ils m’apprennent à me tenir en retrait et à les laisser faire leurs trucs. L’observation et l’expérimentation en sciences naturelles constituent une autre partie de mon enseignement. Les moyens matériels et humains étant limités en ce moment je n’arrive à me mettre qu’une demi-journée par semaine en moyenne à la disposition des enfants pour ce type d’activité. Dans ce domaine mon impulsion et mes idées déterminent beaucoup plus directement ce qui sera fait que lorsqu’il s’agit de construction. Je m’occupe aussi beaucoup des questions que se posent les enfants et, plus particulièrement les plus vieux d’entre eux, sur l’histoire. Les petits partent généralement d’une relation personnelle à l’histoire (ce que papi raconte) alors que le questionnement des plus grands naît souvent de la prise de conscience d’une réalité actuelle (une guerre, un événement politique, une avancée technique…) dont ils recherchent les causes dans le passé … Récemment, une discussion sur la Première Guerre mondiale m’a amené à étudier avec les enfants la disposition des troupes et les plans de campagne des belligérants. Le respect accordé à la singularité de chaque enfant semble s’étendre ainsi aux enseignants dans une école où marottes, passions et autres violons d’Ingres occupent une place considérable. Car ce qui est remis en cause ici ce n’est pas la connaissance elle-même mais la connaissance figée et dépersonnalisée de l’enseignement classique. Cette connaissance valable car évaluable, matériau de base du chantage à la note… Il n’y a pas de notes à l’école. Nous pensons que la motivation doit naître des intérêts propres à chaque enfant et non de la comparaison des résultats. Ce que l’on apprend pour obtenir une bonne note est séparé de la vie et des intérêts de l’enfant et se transforme en pure connaissance pour la connaissance. Les notes ont une autre utilité. Elles justifient l’orientation. La question est capitale en Allemagne où la séparation des enfants entre filière professionnelle et générale s’opère dès la sortie du primaire. Évaluation, classement et stress dominent partout pendant la dernière année d’école sauf… à la Freie Schule où l’accès de tous à la filière générale est considéré comme un droit. L’enfant, qui n’a pas à « mériter » la 6e, sait qu´il doit s’y préparer et que les adultes sont là pour l´aider. Réussiront-ils ? Que signifiera pour eux réussir ? L’avenir de ces enfants, qui ont échappé à la sagesse didactique qui enferme et au « bon sens pédagogique » qui oriente, reste ouvert. ■