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Alain Abelhauser, Virton, Rencontres du lien 2015
Article mis en ligne le 10 août 2015
dernière modification le 22 novembre 2016

par Michel Simonis

Lors de la Rencontre du Lien International d’Education nouvelle qui a eu lieu à Virton à la fin du moins de juillet dernier, Alain Abelhauser a été invité à faire un exposé sur la question de l’évaluation, machine infernale qui se développe toute seule et qu’on se demande comment enrayer.
Dans la ligne de sa conférence, j’ai cherché à compléter mes notes et j’ai sorti des extraits d’un long article (29 pages) publié par ATTAC et basé sur le livre "La folie évaluation, les nouvelles fabriques de la servitude", écrit avec Roland Gori et Marie-Jean Sauret et paru chez Fayard en 2011.
Beaucoup de passages de cet article explicitent les propos mosaïques d’Alain Abelhauser à Virton. J’ai donc choisi des extraits qui approfondissent ce que j’ai pu noter au vol et je vous les propose ci-dessous.
Michel Simonis

Voir aussi ma sélection d’extraits de cet article d’Attac sur PANOTE

Culte et impasse du chiffre.
La valeur de l’inévaluable.

Critique qui permet d’introduire des nuances et des paradoxes.

On parle de "Chiffre" et pas de "nombre".
(Il faut du chiffre pour créer du nombre).
Polysémisme du mot chiffre. On peut opposer chiffres et lettres.
Il y a passage d’un système à un autre.
Avec le chiffre, on a une forme de chiffrage.

Ce n’est même plus de nombres dont il s’agit dans l’insigne de la science, mais de chiffres, au sens le plus strict : une écriture secrète qui permet à l’initié de l’assurer du vrai.

Chiffrer un texte, c’est le crypter, chiffrer une réalité, c’est la rendre difficilement lisible. C’est ainsi que sans le vouloir, ou en tout cas sans le dire, le chiffre rend la réalité indéchiffrable, cruel paradoxe !

La folie évaluation : dorénavant, la folie, c’est l’évaluation. Nouveau symptôme.
En psychopathologie clinique, il y a de nouveaux symptômes : qui n’existaient pas avant ou qui existaient mais n’étaient pas repérables socialement. Ils sont révélateurs d’un état social nouveau. Ce n’est plus seulement révélateur du patient, ça l’est aussi de la société.
Ces "nouveaux" symptômes sont liés à la dialectique entre la culture et la manière dont le sujet s’y adapte.

Pour le psychanalyste,

"S’il n’y a de science que du général, comment y aurait-il de science du singulier ?
De ce point de vue, le singulier est objection au savoir de la science « pour tous ». Tenons-nous en pour l’instant à affirmer qu’il n’est pas scientifique d’étudier le singulier par des moyens qui le nient. C’est pourtant ce que tentent bon nombre de psychologies qui réduisent le sujet à l’individu, et l’individu à la chaîne de ses déterminations biologiques.

Voilà donc comment nos sociétés de paroles se mutent en sociétés de l’information. L’information n’est que la part technique de la parole, son fragment commensurable, la part la plus à même de se faire marchandise. La transformation de la parole en « marchandises informationnelles », solubles dans le système numérique, détermine de nouvelles règles pragmatiques qui constituent les nouvelles formes du lien social, et participent à la construction d’un nouvel espace politique, remodelant en profondeur le concept de démocratie.

C’est donc une nouvelle « pragmatique » des discours, au sens fort du terme, à la fois épistémologique, éthique et politique, qui se met en place dans cette perspective post-moderne, et celle-ci minore le savoir narratif au profit des savoirs techniques.

Symptôme = signe en médecine.
En psychanalyse, le symptôme, c’est la façon dont le sujet répond à tout ce qui fait pression, au discours qui s’intéresse à lui.
C’est une solution trouvée pour chacun, seule possible pour lui.

Freud, le premier, a perçu la solution inventée par le névrosé : le symptôme. Alors même que le symptôme témoigne de la tension entre le singulier et le commun et que le sujet demande à en être débarrassé, il y revient et le tient pour la façon de résister à l’absorption par l’autre.

L’indétermination du futur a pour contrepartie la responsabilité du sujet.
le sujet doit répondre à la question de ce qu’il est en renouvelant la façon dont il vit avec ses semblables. De sorte qu’il répond à la question de ce qu’il est par sa vie elle-même. Ainsi qu’une œuvre d’art, sa vie porte la trace de son effort pour loger sa singularité dans le commun - sans succès. Et la trace de cet échec propre fait le style de chacun.

Par quelles voies cette indétermination sans laquelle il n’est pas d’acte se voit-elle substituer une conception déterministe de l’homme ?

Loin d’être disqualifiée, la singularité doit donc entrer « en creux » dans le calcul de la science : elle se saisit comme trace dans ce qu’un sujet tente de dire de son rapport au langage, à son corps et à la jouissance. Les psychologues comportementalistes ont fort bien vu qu’ils n’arrivent pas à saisir par leur méthode ce qui fait la spécificité « intégrale » d’un individu : les caractéristiques concrètes sont effacées au profit d’un individu moyen, qui n’a aucune existence.

Répétons-le ici à destination de ceux de nos amis qui espèrent qu’une voie médiane existe entre la démarche psychanalytique et la démarche expérimentale : il n’est pas scientifique d’étudier la singularité par des moyens qui l’effacent. Il ne peut alors s’agir que de fausse science.

Le discours dominant.

Le discours dominant se modifiant, la réaction se modifie aussi.
D’où, l’apparition d’un produit symptôme du discours social lui-même.

Exemple : les juristes font face à des plaintes par rapport aux émissions d’ondes nocives. Les scientifiques n’arrivent pas à juger de la nocivité. Dès lors, le motif de plainte évolue : "la science n’a pas de réponse, c’est cette indécision même qui m’angoisse, je porte donc plainte."
Les juristes sont face à des plaignants qui font état d’un préjudice d’angoisse, d’autres, un préjudice d’anxiété.
De quel préjudice s’agit-il ?
Des juristes en sont venus à une inversion entre la cause et l’effet : Ce n’est plus un dommage qui crée de l’angoisse, c’est l’angoisse elle-même qui devient un dommage. Mais les juristes en question n’ont aucunement prise sur ce dont il s’agit.
Ils donnent consistance à une plainte, donc à une certaine détresse sociale.
Effet boule de neige, c’est éventuellement même une épidémie !

On peut voir le symptôme comme résistance à un discours dominant.
Réaction à la dimension répressive, à des interdits.

Pour la psychanalyse, l’interdit permet à l’individu de se construire en s’opposant.
Les interdits créent du désir (la pomme, le fruit interdit).

Ce qui est plus nocif et dangereux que les interdits, ce sont les idéaux.
Pour Lacan, "la véritable tyrannie, ce sont les idées. C’est avoir un idéal."

Le discours capitaliste, c’est "tu dois jouir de tout".

Cela en est au point que nous voyons se développer de plus en plus de pathologies de la consommation : addiction, anorexie, boulimie, traitement alimentaire des conflits et des tensions, vols compulsifs, dépressions : Pourquoi ? Ne peut-on faire l’hypothèse que le sujet, incessamment suggestionné par l’idéologie dominante bien servie par nos psychologies, proteste contre la maltraitance qu’il subit et retrouve les vertus de la résistance du symptôme ? A ceci près qu’il ne rencontre autour de lui qu’une majorité de coachs et de thérapeutes qui lui promettent de supprimer l’obstacle à son intégration parfaite dans la société de consommation.
Il faudrait examiner les conséquences aujourd’hui de la faillite des ontologies au profit de la seule idéologie scientiste, qui promet que demain la science expliquera tout, que, nouveaux sujets, nous comprendrons tout, et que le marché nous permettra de jouir de tout. Le désir est ravalé au besoin, l’individu doit s’accepter comme étant de même nature que l’objet manufacturé susceptible de le compléter, le « bien-être » se vend sur les étalages des grandes surfaces.

Oui, les conceptions que nous avons du sujet ont des conséquences politiques.

Ces thèses signalent que la société est contaminée dans son ensemble par l’anthropologie (idéologique) suscitée par le néolibéralisme, et du coup, elles nous préviennent de l’affaiblissement de notre capacité à extraire la portée révolutionnaire de la résistance symptomatique, puisque nous sommes nous-mêmes formatés pour venir en aide au système quand il déraille.

Alors, la question qui se pose à chacun dépasse le cadre de la psychologie. Que faisons-nous de notre désir ? Que faisons-nous de nos vies, tant que nous sommes encore assez lucides pour tenter de renouveler le lien social...

Les idéaux sont éreintants : il y a une grande détresse si on n’arrive pas à les atteindre.
Il y a des idéaux qui fixent aux gens une culture donnée. (ou qui fixent les gens à une culture donnée, mais ça revient au même, il me semble)

Le discours de la science : la vérité.
En psychanalyse, il n’y a pas de vérité dernière.
Je suis dans le vrai si je suis en phase avec ce que je dis.
Note. différence entre vérité et véracité - voir plus loin)
Si je suis en décalage (par 10 min de discussion pendant lesquelles je réfléchis sur ce que je viens de dire... Je peux vérifier s’il n’y a pas d’écart.

Où est dorénavant la référence ? Qu’est-ce qui va nous départager ?
Au Moyen Âge, on recourait à l’ordalie, "épreuve judiciaire employée pour établir l’innocence ou la culpabilité de l’accusé."

Qu’est-ce qui donne la garantie ?
Note. Voir Ken Wilber : différence entre vérité et véracité - cf. l’article écrit ce 10/8/2015[Interpellant ! "C’est bien fait pour eux !"->334])

Dieu faisait garantie, disait ce qui est vrai. Dieu parti, qui va garantir le vrai ?
On va donc se tourner vers les experts. Les scientifiques.

Au 20e siècle, apparait un nouveau discours : dès que socialement vous agissez, vous devez rendre compte de votre action.
Nouvelle dimension : comment des non-professionnels peuvent-ils prendre en compte et rendre compte de l’action des professionnels ?

Le chiffre contre l’action

L’évaluation permet d’agir. Exemple : prendre un verre en main (cf le feed-back, voir l’article écrit ce 10/8/2015 mentionné plus haut)

Paradigmatique : quelque chose de dénombrable ou de chiffrable pour pouvoir rendre compte.
Certes, respecter le contrat social est une idée très noble.
Et que toute action repose sur une évaluation, c’est OK.
Oui pour chiffrer la manière dont est rempli ce contrat social, mais le système a dérapé.

Le contrat social :
Le principe même de l’évaluation ne semble-t-il pas aller de soi, en tous cas dès que l’on pense en termes de « contrat social » ? Si l’on fait quelque chose qui engage ne serait-ce qu’un peu la communauté, n’est-il pas licite de s’engager en retour à s’assurer de son bien-fondé - c’est-à-dire à l’évaluer ? Autrement dit, l’évaluation n’est-elle pas le corollaire obligé de la liberté d’entreprendre, autant une forme de régulation sociale qu’un mode d’engagement individuel, lequel comporte donc une dimension nécessairement éthique ?

Il s’agit, nous dit-on, rien moins que de la procédure la plus convenable pour rendre des comptes à la société et, ce faisant, pour protéger ceux qu’on appelle désormais les "usagers", vous, moi, tout un chacun.

Mais on a glissé vers un dispositif social qui a substitué à la valeur de l’action, la valeur du chiffre. Nous n’évaluons plus pour mieux faire, mais le système évaluatif sert à ne plus faire que ce qui est susceptible d’être évalué.
Dorénavant, on ne fait plus quelque chose parce que c’est utile mais parce que c’est évaluable et chiffrable.

L’évaluation opère comme une gigantesque machine à détourner tout un chacun de sa fonction, à dissuader tout un chacun d’exercer son métier, de faire ce pourquoi il est fait : en les poussant à n’avoir d’actions que susceptibles d’être évaluées à l’aune prévue, en exigeant d’eux qu’ils fassent du chiffre et ne fassent que cela, elle détourne les chercheurs de leurs recherches, les soignants de leurs soins, les enseignants de leur mission de formation et de transmission, les juges de leur jugement, les artistes de leur art, les policiers de leur action de prévention et de protection et j’en passe.

Je complète par trois extraits de l’article d’Alain A. :

1- L’expression « évaluation » est aujourd’hui plus que paradoxale. Je dis « plus que paradoxale », dans la mesure où ce dispositif procède moins du souci de donner aux hommes, à leurs produits ou à leur activités, une valeur qu’un instrument pour mieux la faire perdre : pour mieux les soumettre socialement en transformant tout ce qu’ils produisent matériellement ou symboliquement en « marchandises », en « segments techniques » ou en « produits financiers » offerts à la consommation et formatés pour générer du profit à court terme. C’est une nouvelle « civilisation » qui colonise les existences humaines et leur fait perdre le monde commun.

2- La néo-évaluation constitue ce rite social de passage de la culture du capitalisme industriel, historiquement daté et qui se termine vers 1975, à une culture du capitalisme financier, qui se répand à partir des années 1980. Etendue aujourd’hui à tout domaine, elle triomphe. D’où cette prolifération technocratique de l’expertise, sa tyrannie, ses professions de foi et ses certitudes, qui décrédibilisent le travailleur autant que le citoyen, et le dépossèdent de fait de ses activités et de ses droits démocratiques, ce qui permet d’organiser toujours plus au sein même de l’état une culture d’audit et de gestion néolibérale.

3- La logique de l’audimat, cheval de Troie de la logique du marché, a produit des effets désastreux sur la « pensée pensante », dans la culture et l’information : cette logique-là, nous la voyons désormais à l’œuvre dans tous les secteurs de notre vie sociale. C’est elle qui organise les dispositifs de l’évaluation dans tous les domaines de la vie sociale, culturelle et professionnelle, avec bien sûr des particularités propres à chacun des domaines ; L’évaluation généralisée n’est pas autre chose que l’extension à l’infini de cette « logique de l’audimat ». Elle procède de cette forme de pouvoir qui tend à une homogénéisation des produits et des activités au sein des différents champs de notre existence sociale. Les choix opérés par la néo-évaluation s’alignent sur les dispositifs d’audience, de fréquence, bref de popularité, produisant des effets de conformations et de normalisation d’autant plus insidieux que la structure invisible qui les produit prend le masque d’une objectivité formelle : la notoriété publique dont se prévalent les experts, ces nouveaux directeurs de conscience pour procurer au Pouvoir sa légitimité.

Un exemple : les chercheurs universitaires. Comment évaluer la rentabilité d’une recherche ? Est-ce que la recherche aboutit ou bien débouche-t-elle sur une impasse ?

Les revues scientifiques sont indexées. Est-ce de bons index ? Pour le savoir, il faut indexer les index.
O va devoir trouver la garantie de la garantie de la garantie...
(cf encore Ken Wilber, véracité et vérité)

Un article de synthèse qui ne dit rien de neuf mais fait la synthèse d’autres articles, sera cité plus souvent, il aura un bon impact, il sera donc bien côté (sans rien apporter !)
Le "facteur d’impact" d’une revue (si elle est elle souvent citée), c’est un processus qui n’a pas de point d’arrêt. Une boucle auto-référencielle, auto-justificative.
Cf les moteurs de recherche, cf. Google.

Cf le prof qui écrit un article bidon pour tester ses élèves.

Des chercheurs cherchent à écrire des articles, peu importe qu’ils soient lus ou non.
L’important, c’est de pouvoir donner le sentiment que "ça, c’est important".
Donner des chiffres attendus. On est dans une logique de marché.
Les chercheurs deviennent des producteurs d’articles.
On retrouve ce système dans toute une série de champs : il faut "faire du chiffre".

C’est un symptôme.
Certes, tout le monde le dénonce (par exemple dans la gestion des hôpitaux), ils sont 100% d’accord. Mais dans la réalité, personne n’arrête, et ça se développe.

L’évaluation se coule et se fond dans cette logique : c’est en cela qu’on peut la considérer comme un symptôme, mais à condition d’admettre qu’il s’agit d’un symptôme social, aux deux sens du terme « symptôme » : une solution que la société tente de trouver pour faire face à ses difficultés...

Cf. Plaintes multiples point de vue scolaire : résistance à la frustration ? symptôme ? grain de sable dans le système ?

Outils et machines

Le propre de l’homme est d’utiliser des outils.
Il y a une différence entre outils et machines (ex. le moulin à eau ou à vent) : celles-ci fonctionnent toutes seules, tandis qu’un outil, pour qu’il serve, il faut que quelqu’un l’utilise. Un outil me sert à quelque chose que je fais (l’usage qu’on en fait). Il me sert si je fais quelque chose, je suis obligé de m’en servir.

"La folie évaluation", c’est une machine.
On l’a construite, en croyant construire un outil (utile seulement si on s’en sert), et il y a des usages bienfaits et des usages méfaits.
Mais on s’est trompé. On a créé une machine. On a analysé en tant qu’outil un truc-machine, qui marche tout seul. Et cette machine est autiste.

L’activité évaluative est toujours portée à s’emballer. Elle prône une préévaluation par l’intermédiaire de contrats, elle appelle à l’autoévaluation permanente, elle incite au suivi de l’impact de ses effets, elle crée des évaluateurs des évaluateurs, elle souhaite devenir plus fréquente : elle incite à multiplier les procédures. Elle prolifère. Cet engrenage à l’infini produit un ogre prétendument utilitariste que rien ne saurait satisfaire.

Beaucoup de discours défendent encore la clinique en médecine, la prise en compte d’une personne malade, pas d’une maladie.
Prendre en compte le malade, c’est prendre en compte que tous sont différents (clinique), c’est prendre en compte la singularité des situations de chacun. (Cf. plus haut)

Les trois métiers impossibles

Freud a estimé qu’il y avait trois métiers impossibles : gouverner, éduquer, guérir (Psychothérapie).

« Deux ou trois impossibles » : il n’est certainement personne ici à ignorer ce à quoi cet intitulé fait référence. Ces fameux métiers que Freud considère, par semi-boutade, participer d’un impossible, d’un impossible de structure. Éduquer, d’abord. Guérir, ensuite. Gouverner, enfin.

Je peux vous lire la phrase exacte :
« Il y a très longtemps déjà, j’ai fait mien le mot plaisant qui veut qu’il y ait trois métiers impossibles : éduquer, guérir, gouverner ; j’avais déjà largement de quoi faire avec le second des trois. »
Et d’ajouter (comme c’est gentil, et de circonstances ce soir, je le précise) :
« Mais je ne méconnais pas pour autant la valeur sociale du travail de mes amis éducateurs »
Il y a des « métiers » impossibles, non tant parce que leur exercice le serait — celui-ci est certes compliqué, difficile, périlleux, mais nombreux sont ceux qui pourtant l’assument —, mais parce que la finalité que ces métiers supposent est en quelque sorte impossible à atteindre. On ne peut qu’y échouer, écrit Freud. En d’autres termes, ces métiers sont impossibles en tant qu’ils confrontent nécessairement avec de l’« impossible ».

Sur cette question, voir l’article d’A. Abelhauser : "Conjuguer deux ou trois impossibles"
http://analysefreudienne.net/fr/articles/interventions-aux-colloques/149-autres-colloques/paris-2015-la-place-du-sujet-dans-l-education/901-alain-abelhauser

Nos questions rejoignent cette prise en compte de la singularité de chaque cas, ce qui n’est pas réductible à une épidémie logique du chiffrage. On est dans un affrontement entre deux concepts de la valeur : valeur du chiffrable et valeur de l’action.

S’il n’y a de science que du général, comment y aurait-il de science du singulier ?
De ce point de vue, le singulier est objection au savoir de la science « pour tous ». Tenons-nous en pour l’instant à affirmer qu’il n’est pas scientifique d’étudier le singulier par des moyens qui le nient. C’est pourtant ce que tentent bon nombre de psychologies qui réduisent le sujet à l’individu, et l’individu à la chaîne de ses déterminations biologiques.

il n’est pas scientifique d’étudier la singularité par des moyens qui l’effacent. Il ne peut alors s’agir que de fausse science.

Suis-je un outil ou une machine ?


Interpellations à la fin de la conférence

Machine : oui, il y a toujours des hommes, mais ils sont déqualifiés.
Les experts nous rendent service. On devient serviteur de la machine.

Une machine n’a plus besoin de servants, mais peut prendre les humains comme outils (la science fiction est dépassée par la réalité).

Freud : texte sur l’auto-dévaluation : "pourquoi faut-il aller si mal pour enfin être lucide ?"
("Lucidité mélancolique")

Enrayer la machine ?
La folie de déposer plainte. Les gens savent qu’on est de plus en plus dans une impasse.

Il y a une dimension politique de l’évaluation : produire de la servitude.
Et on est encore à un stade peu évolué de la chose.

Alternative : devenir des grains de sable dans la machine ?

Certes, nous ne pouvons refuser d’entrer dans les mécanismes de l’évaluation, sauf à démissionner des lieux où elle se pratique, mais nous devons refuser d’adhérer à son idéologie, en ne nourrissant pas celle-ci, en ne rêvant pas d’une bonne évaluation, en rappelant sans cesse que le facteur humain excède le chiffre, en résistant pied à pied, en dénonçant ses méfaits et en la révélant pour ce qu’elle est en dernière analyse : un instrument de consentement à l’économie de marché.

Cf. L’appel des appels : voir le site (http://www.appeldesappels.org/).

Et sur ce site, on trouve :

CINQ CLÉS pour une résistance constructive
par Catherine Thibierge

"Nous vivons une période marquée par l’augmention de la "pression des normes" liée à l’accroissement de la quantité de dispositifs d’évaluation et de contrôle qui régissent les pratiques professionnelles. Source d’aliénation individuelle et de destruction du lien humain, ce processus de "densification normative" est cependant réversible. Dans notre contexte propre et avec les outils qui sont les nôtres, il est en effet souvent possible de cesser de l’alimenter, voire de contribuer à l’inverser, au moins localement, et/ou de s’en affranchir, au moins en partie. Voici quelques clés pour y aider."