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Promenade en forêt...
Une métaphore.
Article mis en ligne le 6 septembre 2012
dernière modification le 22 novembre 2016

par Michel Simonis

Accompagner l’enfant en difficulté...
En maternelle...
En primaire...

Dans le groupe, certains enfants courent en avant, jamais fatigués ; d’autres suivent tranquillement le chemin, si discrètement qu’on les oublierait. Il y en a quelques uns qui courent partout, entrent dans les sous-bois, explorent, jouent, découvrent. Certains de ceux-là sont véritablement en recherche, ce sont les découvreurs, d’autres sont seulement excités, jouent et crient, ne font pas attention à ce qui les entoure.

Il y a ceux qui ont besoin de se défouler et ceux qui sont seulement dispersés, sautant d’une chose à l’autre sans intégrer, sans réfléchir, ce sont les décentrés, les éparpillés.
Parmi eux, certains reviennent sans problème sur le chemin en rattrapant le groupe, d’autres sont lâchés ou perdus, ils appellent ; certains se font remettre à leur place, gronder ou punir parce qu’ils sont fatigants ou "pompants", qu’ils créent des problèmes ou se mettent en danger.

Enfin, il y a ceux qui traînent la patte. Ils sont fatigués, ou bien n’ont plus envie de marcher. La promenade les ennuie. Ils aimeraient être ailleurs. Il faut les attendre ou même aller les rechercher, leur remonter le moral, les tirer ou les appâter avec une chose ou l’autre.

Ceux-là sont en difficulté. Ils ont besoin qu’on les accompagne. Même s’ils nous donnent du travail supplémentaire et qu’on a envie de se fâcher sur eux ou de les houspiller, c’est justement ce qu’il faut éviter de faire. Mais plutôt faire un bout de chemin avec eux, à leur rythme, parler avec eux, les encourager, les remotiver, et surtout marcher de concert, d’abord un temps à leur allure en laissant le groupe prendre de l’avance puis un temps où on accélère la marche, avec des stimulations (on peut même courir) pour qu’il rattrape le groupe : c’est comme un jeu, un défi.
Le dilemme c’est de prendre le temps de les accompagner en suivant leur propre rythme, sans qu’ils soient distanciés par le groupe puis éventuellement largués.

En maternelle...

...cela n’est pas trop important ni difficile. Les ateliers fonctionnent tout seuls avec ceux qui se débrouillent le mieux et l’enseignant(e) a surtout besoin de gérer les groupes, de veiller à ce que les interactions se passent bien, soient harmonieuses et productives. Elle peut davantage s’occuper de ceux qui ont besoin d’elle (de lui), s’asseoir à côté, faire avec eux pour qu’ils se sentent en "zone proximale d’apprentissage", là où l’enfant peut réussir s’il est avec quelqu’un d’autre mais pas encore s’il est tout seul. Elle peut aussi organiser les équipes, les groupes, les compagnonnages, les tutorats, installer l’entraide et la solidarité : on apprend ensemble, on ne laisse personne en plan tout seul dans son coin ou se noyer.

Chacun est vu, repéré là où il est, même s’il se cache derrière un faire semblant ou un copiage plus ou moins astucieux. Il est accepté là où il est, ce qui ne veut pas dire laissé là en plan :

"C’est O.K que tu sois là mais il n’est pas question que tu y restes ni que je t’y laisse. Tu es ici pour grandir et mon métier c’est de t’aider à grandir : alors nous allons nous y mettre à deux et je ne te passerai rien. Je serai exigeante, je ne ferai rien à ta place de ce que tu peux déjà faire tout seul : je t’encouragerai, je réagirai chaque fois que j’entendrai quelque chose comme "je ne suis pas capable" ou "je n’y arriverai jamais." Tu ne seras jamais sanctionné pour ce que tu ne sais pas encore faire, jamais je ne te dirai que tu as fait une faute ou que tu es en échec.
Chaque fois, on verra ensemble comment s’en sortir, comment refaire mieux, pour que tu sois toujours en progrès par rapport à toi-même.
Chaque jour, tu feras mieux que les jours précédents.
Je serai impitoyable pour débusquer les moments où tu perds ton temps. Je ne veux pas dire les moments où tu rêves, parce que tu as besoin de rêver, c’est nécessaire comme l’eau que tu bois ou l’air que tu respires. Je veux dire ces temps morts où tu tournes dans ta tête avec des idées noires comme "je ne vaux rien", "je suis moins bien que les autres", "on ne m’aime pas", "les autres me détestent" ou "je suis mauvais", "je suis nul".

En primaire...

...ce sera plus difficile, car il y a la pression de l’extérieur, l’anxiété des parents. Si l’apprentissage ne va pas assez vite, il y aura des comparaisons entre ceux qui sont plus rapides et ceux qui sont plus lents.
Comment éviter d’assimiler lenteur avec bêtise, vitesse avec intelligence ? Comment ancrer dans nos mentalités cette idée subversive qu’on peut être très lent et très intelligent à la fois, qu’il y a des formes différentes d’intelligence qui n’ont rien à voir avec la vitesse de compréhension ou la vitesse d’exécution d’une tâche, rien à voir avec le produit fini, donc des formes d’intelligence non mesurables puisque tout se passe à l’intérieur de la "boîte noire" dans le tissage des connexions cérébrales ?
Comment repérer le travail intérieur, débusquer les moments et les activités où ce travail ne se fait pas, où le cerveau tourne en rond sans établir de connexions ni produire du sens ?
Comment distinguer le rêve intérieur productif de savoir et de sagesse et le carrousel mental qui tourne à vide, qui ressasse de vieilles idées, de vieilles croyances ou des émotions envahissantes ?
Comment identifier l’enfant en difficulté qui continue à chercher et grandit en pataugeant* et celui qui s’effondre petit à petit en se laissant distancier ou qui fait la "bête" parce qu’il en retire toutes sortes d’avantages (on lui prête attention, il se fait remarquer ou punir - s’il fait exprès, c’est donc qu’il n’est pas si bête que ça, pense-t-il : on ne saura pas distinguer la part d’incapacité et la part de non-vouloir. Il mélange ainsi ce qu’il est et ce qu’il fait et échappe alors aux jugements de valeur sur sa personne : astucieux !).

En primaire, il faudra réaliser une sorte de quadrature du cercle.
Accepter les rythmes différents (accepter que les uns sachent déjà lire tandis que les autres en sont encore à construire des sons syllabe après syllabe) et en même temps garder la solidarité du groupe-classe, éviter la dualisation et les discriminations, les sentiments d’échec et de dévalorisation de soi chez les uns, les sentiments d’orgueil et de supériorité, voire de rejet condescendant chez les autres.
Je n’ai pas dit "respecter" les rythmes différents ! Méfions-nous du désir de “respecter” ou “suivre” le rythme des enfants. Philippe Meirieu dit je crois : “le rythme des élèves, je ne le respecte pas, j’en tiens compte”.

Garder une ambiance de classe où il fait bon vivre, où chacun respecte les autres, différents, avec des atouts différents, n’ayant ni la même forme d’intelligence, ni les mêmes centres d’intérêts, ni les mêmes supports familiaux ; où, malgré ces différences, on essaie d’avancer tous ensemble, de s’entraider, d’éviter que certains restent en rade ; où l’on vit dans une micro-société au sein de laquelle chacun a pleinement sa place.

Michel Simonis
2005

Note.
Si on relisait le texte comme une métaphore dans la métaphore, en poupées russes, où la promenade est aussi celle des différents membres d’une équipe enseignante ? Alors l’accompagnement peut devenir une tâche à laquelle sera sensible non seulement la direction de l’école et l’équipe d’animation pédagogique, mais aussi les équipes accompagnantes qui peuvent être parfois présente dans l’école. Il y a des enseignants que s’enlisent. Ou se noient. En silence. Et garder une ambiance d’équipe, où on essaie d’avancer tous ensemble... c’est aussi un apprentissage de la démocratie !