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Que nous apprend la « pédagogie traditionnelle » ? (Philippe Meirieu)
Article mis en ligne le 6 septembre 2014
dernière modification le 17 juin 2016

Philippe Meirieu : Pédagogie traditionnelle, progressisme administratif et progressisme pédagogique

Jean Houssaye vient de publier, successivement, deux ouvrages importants. D’une part, chez ESF et en collaboration avec Le Café Pédagogique, il nous permet d’accéder à des textes aujourd’hui introuvables ou totalement inédits sur le fameux « triangle pédagogique » : cette notion – qu’il a introduite - permet, en effet, de comprendre bien des questions et des débats pédagogiques à travers un modèle qui met en relation l’élève, le maître et le savoir. On peut ainsi repérer la manière dont ces trois pôles s’articulent, identifier les situations où l’un de ces pôles « prend la place du mort » et repenser utilement, à la lumière de ces analyses des questions aussi importantes et débattues que l’autorité, le cours magistral ou la gestion des classes hétérogènes.(1)

Que nous apprend la « pédagogie traditionnelle » ?

Mais Jean Houssaye a aussi publié, il y a quelques mois, un ouvrage dont je recommande également la lecture, intitulé La Pédagogie traditionnelle (2). Il faut lire cet ouvrage, d’abord, parce qu’il est l’un des très rares à s’intéresser à ce qui fait fonction de « repoussoir » pour bien des militants pédagogiques, en particulier depuis l’émergence, au début du 20ème siècle, de « l’Éducation nouvelle ». Jean Houssaye se reconnaît, d’ailleurs, largement dans l’Éducation nouvelle et avoue avoir été un des pourfendeurs de la « pédagogie traditionnelle » sans la définir toujours précisément ni expliciter suffisamment à quelles doctrines et à quels auteurs il faisait allusion. Il le fait ici, de manière extrêmement rigoureuse et argumentée et en nous livrant une très étonnante et suggestive histoire de la pédagogie « à l’envers » : l’exposé de l’histoire de la « pédagogie traditionnelle » commence, en effet, en 2010 avec le débat sur « les compétences », se poursuit, en remontant le temps, par « la mise à mort de la pédagogie différenciée par la pédagogie de soutien » (et par tous les « dispositifs » qui externalisent hors de la classe le traitement des apprentissages et de l’accompagnement pédagogique des élèves), pour examiner « le mythe Ferry », passer par Jean-Baptiste de La Salle et arriver jusqu’au Moyen-Age où triomphaient le « proférer » et le « réciter ».

Au terme de ce parcours, Houssaye conclut que la « pédagogie traditionnelle » existe bel et bien – « elle ne vacille pas et se porte bien », « elle est dominante et l’a toujours été », nous dit-il – et l’on peut en donner une définition précise. En effet, au-delà du simple caractère « réactif » auquel nous ont habitué les anti-pédagogues - lutter contre les errances du présent pour revenir aux certitudes du passé ! – la pédagogie traditionnelle s’inscrit dans une histoire et une philosophie qui lui permettent de faire efficacement de la résistance par rapport aux « militants pédagogiques » qui ont, depuis bien longtemps, cherché à la subvertir. Cette « pédagogie traditionnelle » s’incarne dans une conception chosifiée du savoir, développe une conception autoritaire de l’apprentissage, s’appuie sur une conception formaliste de l’intelligence et promeut une conception verticale de l’enseignement. Toutes conceptions, qui peuvent apparaître très négatives, cumulent, en réalité, beaucoup de séductions : celle de l’unité de l’État face aux initiatives débridées des pédagogues, de la philosophie de l’absolu face au relativisme que peut susciter toute réflexion sur la motivation des élèves, de la sécurité face à un avenir qui pourrait nous échapper et à des jeunes générations que nous ne parvenons pas à contrôler…

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