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Faute, et faute, et faute...
Article mis en ligne le 29 décembre 2011
dernière modification le 5 juillet 2016

par Charles Pepinster

Qu’est-ce qu’on fait quand un enfant se ramasse 31 "fautes" dans une dictée de CE2 ?

Franchement, avouez qu’une telle performance d’élève laisse perplexe : 31 fautes dans une petite dictée de CE2, il faut se donner du mal pour y arriver !

Ce qui, personnellement, me bouleverse, c’est un certain fatalisme de l’enseignant pour qui cet enfant (et pas mal d’autres, qui sans atteindre ce record, ont largement plus des cinq fautes rédhibitoires) est "irrécupérable" et qu’on n’y peut rien si bien que cela ne l’empêche pas de continuer imperturbablement à faire faire des dictées régulières, alors qu’elles ne sont convenablement orthographiées que par une petite poignée des gamins de cette classe.

Il me semble que, lorsqu’il y a autant d’échecs, on devrait se poser quelques questions, autres que d’y voir la preuve de la fameuse baisse du niveau. Par exemple :

  • Est-il utile de faire faire à un enfant des activités qui semblent à ce point au-dessus de ses possibilités ?
  • Si oui, à quelles conditions ?
  • Une mauvaise note, est-ce que ça peut être positif pour un enfant ?
  • Quel était le but de la dictée : était-ce un moment d’évaluation ou d’apprentissage ?
  • Que faire pour aider cet enfant ?

C’est ce qui arrive forcement quand l’école évalue des compétences qu’elle n’apporte pas. Et c’est toujours ainsi qu’elle procède. Les méthodes syllabiques qui ont cours dans 99 pour 100 des classes de CP, en plus de ne pas former des lecteurs, ne peuvent aider pour l’acquisition de l’orthographe. Surtout pas. La maitrise de l’orthographe n’est accessible qu’aux lecteurs. C’est une fréquentation régulière de l’écrit qui seule la rend possible.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en réalité la lecture véritable, celle qui est moyen de comprendre et d’agir... Cette lecture donc, la seule digne de ce nom, est encore le privilège d’une classe, pour ne pas dire d’une caste, qui ne représente qu’environ 20 pour 100 de la société. C’est sur la définition même de l’illettrisme qu’il faudrait bien s’entendre aujourd’hui si on veut progresser dans la compréhension des difficultés auxquelles se trouvent confrontées et l’école et la société.

Les analphabètes, qui représentent aujourd’hui entre 15 et 20 pour 100 de la population scolaire, et aussi sans doute de la population en général, ces analphabètes sont en réalité l’arbre qui cache la forêt. Ils sont l’objet de toutes nos préoccupations et de tous nos soins, ils nous empêchent de nous intéresser au vrai problème qui est celui de l’illettrisme qui touche les quatre cinquièmes de la population, ces gens dont on dit qu’ils savent lire mais qui en fait ne lisent jamais, qui forment en gros ce qu’on appelle l’opinion, qui ont une influence décisive sur le choix de la société dans laquelle nous vivons, qui se targue de pouvoir "élire" sans même savoir "lire". Je ne suis pas en train, comme on pourrait le croire de mépriser la démocratie, qui est la "pire forme de société, a l’exception de tous les autres", je pense simplement que la démocratie est une utopie si la majorité du peuple fait l’essentiel de ses choix sans être réellement éclairée,
On s’étonne parfois du manque de constance de l’opinion, de sa versatilité, de l’absence d’un idéal de société qui pourrait enfin susciter l’adhésion de tous... ou presque. Mais n’est-ce pas au bout du compte l’ignorance et le manque de discernement qui nous Imposent notre société et son cortège de violences ?

Mais cessons avec ces digressions à caractère politique, si cela est possible, et revenons-en à l’école et au problème de l’apprentissage de la lecture. Je pense que tant qu’on n’aura pas compris qu’il est impératif de faire en sorte que l’enfant, que tous les enfants aient un comportement de lecteur, le plus tôt possible, qu’ils conforteront au fil des années. Le plus tôt possible parce que l’expérience nous enseigne que cela devient très complexe à partir d’un certain âge de repartir de zéro. Tant qu’on n’aura pas compris que les méthodes alphabétiques qui reviennent en force, avec la bénédiction du Pouvoir, que ces méthodes sont performantes lorsqu’il est question d’alphabétiser, on est bien d’accord, mais inutiles, inopérantes et dangereuses lorsqu’il s’agit d’apprendre à lire. Tant qu’on n’aura pas compris que la Lecture est une aventure qui demande beaucoup de temps, de longues années et qu’il ne saurait être question de vouloir l’enseigner en une année, l’année du CP comme on le fait actuellement. Qu’il est préférable d’apprendre aux enfants à marcher sur leurs deux jambes plutôt que de les doter de ces béquilles dont ils ne pourront plus jamais se débarrasser par la suite…

…C’est très juste. Le nombre d’illettrés en France n’est pas le résultat d’un dysfonctionnement institutionnel, de l’échec de l’école à alphabétiser le peuple, mais la concrétisation effective de la volonté de la bourgeoisie et de ses intellectuels, de droite ou de gauche - c’est pareil, d’empêcher les enfants du peuple de se munir de l’outil indispensable à l’exercice de la démocratie : l’écrit. Le pouvoir est plus grand quand on en a le monopole. Car si la misère culturelle ne s’ajoutait pas à la pauvreté économique, les pauvres douteraient de la moralité, de l’honnêteté et du patriotisme des détenteurs des différents pouvoirs. Pire, ils se poseraient des questions sur la justification de leur paupérisation par les « économistes savants », sur la « logique » des marchés, sur la prétendue politique libérale du laissez-faire sans intervention de l’état. Ils se demanderaient pourquoi toutes les entreprises florissantes, qui, grâce à l’argent du contribuable, ont fait le regain économique de la France après la dernière guerre mondiale, sont bradées aux capitaux privés, mais renflouées par l’état quand elles se trouvent mises en difficulté par la spéculation de leurs propres dirigeants. Ils se demanderaient pourquoi les grands patrons du CAC 40 gagnent en un an plusieurs centaines d’années de SMIC, chiffres si astronomiques, exprimés en euros, qu’on peine à en imaginer le volume en billets de banque. Plus on déchiffre, moins on lit. Moins on lit, moins on a d’information et de culture écrites, plus on se nourrit de publicité télévisée, de jeux télévisés, de concours télévisés, de téléréalités, de chroniques de faits divers, d’énigmes criminelles, des vies romanesques des princes et princesses, des stars de la chanson, du cinéma et du ballon, du tirage du loto, de l’astrologie, mieux on accepte que les industriels français déménagent en Chine pour y exploiter le prolétariat à bas coût, plongeant dans le chômage et dans la pauvreté des milliers de familles françaises, plus on trouve naturels l’opulence des riches et leurs comptes en banque suisses, plus on se scandalise des minima sociaux dont « profitent » les chômeurs.

Et la méthode la plus efficace pour barrer l’accès à l’écrit, à la citoyenneté, à l’intelligence politique, c’est la méthode de « lecture » et la dictée.

La stratégie du pouvoir, de ses journalistes et de ses idéologues est toujours la même :

1. refuser toute véritable formation pédagogique aux enseignants ;

2. faire répéter quotidiennement par les « penseurs » de l’enseignement que la bonne voie, la seule, pour apprendre à lire est « indirecte : c’est le son qui donne le sens », afin qu’aucun enseignant « sérieux » ne puisse en douter ;

3. sacraliser la « tradition » et inventer un âge d’or de l’école, une époque que personne n’a connue où tous les élèves savaient lire en apprenant par le b a ba ;

4. mailler l’ensemble du territoire d’instituts et d’officines de rééducation de la « dyslexie » afin de faire admettre aux non lecteurs qu’ils échouent à cause d’une pathologie cérébrale, donc par un empêchement purement individuel auquel l’enseignement de la méthode est évidemment étranger, mais que l’état se préoccupe généreusement de les en guérir ; après avoir théorisé, à grand renfort d’études prétendument scientifiques, comme maladie individuelle un problème collectif dont l’étiologie est institutionnelle et politique, on le médicalise puis on en marchandise la « solution » au cas par cas ;
5. inventer un néologisme caricatural et stigmatisant pour dénigrer les opposants à la « pensée » unique et les pointer comme boucs-émissaires : les « pédagogistes », ceux qui, justement, n’enseignent pas la lecture mais l’utilisent comme outil d’expression et de communication interne et externe, en équipe, en commun, en collectivité, en coopérative, en interaction et qui, en pratiquant la pédagogie, justement, font vivre la démocratie au quotidien dans leur classe ; ces « traitres » donnent les moyens et le gout de la démocratie à leurs élèves qui l’apprennent en la pratiquant, comme la lecture, avec le statut de citoyen de l’école…

On peut lire l’intégralité des débats sur le blog :http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2011/12/11/192-qu-est-ce-qu-on-fait-quand-un-enfant-se-ramasse-31-emfautes-em-dans-une-dictee-de-ce2