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"Causeries" à la Maison des Enfants de Buzet
Jean-François Manil
Article mis en ligne le 22 juin 2012

par Jean-françois Manil

Les « causeries » dont vous allez prendre connaissance à intervalle « régulier » ont pour objet de vous dévoiler une part de la vie de la Maison des Enfants. Ce seront des parts choisies, des parts dont l’importance mérite d’être éclairée par des propos pédagogiques.

Jean-François Manil

VOIR aussi d’autres Petites causeries pédagogiques dans la rubrique "Coup de coeur"

Les caractères d’imprimerie...

Célestin Freinet a inventé l’imprimerie scolaire. C’est à dire qu’il a voulu mettre les enfants en situation d’écrire "pour de vrai". Géniale idée du génial pédagogue.

Il y a peu, un ami m’a proposé d’offrir à l’école quelques alphabets d’imprimerie.

Des vrais, en plomb, bien sales !

Bien sûr, je les ai amenés et ce matin, c’en était la première découverte. Ca imprimait "à tout faire" chez les plus jeunes.

Mais pourquoi de vieux caractères alors que nous sommes à l’ère de l’ordinateur ? Parce que l’un n’empêche pas l’autre et surtout parce que cela plaira à certains enfants !

Je m’explique : tous les enfants n’entrent pas en lecture-écriture en même temps et ce pour des raisons multiples. Notre travail est de trouver les astuces, les "ruses" pour les apprivoiser, les séduire. Habituellement, on impose de faire très souvent la même chose, le même exercice, avec le même matériel. Que celui qui n’aime pas, n’apprécie pas, ne comprend pas se débrouille...

Nous, nous pensons qu’il faut proposer très souvent des choses différentes qui tournent autour du même sujet. On peut espérer ainsi que chacun y trouvera son compte et, en final, entrera en lecture.

Donc, imprimons, imprimons ! Et, encore merci Monsieur Freinet.

http://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9lestin_Freinet

jfm


  Vos enfants sont formidables !

Jeudi dernier, j’ai accompagné certains d’entre eux à une exposition géologique et paléontologique ; on aurait appelé ça une « excursion » il y a quelques temps. A la différence près que nous y sommes allés à pieds.

En marchant, je me suis trouvé invité à participer à des conversations extraordinaires. Que l’on ne s’y trompe pas, les mots « invité » et « extraordinaires » sont pesés ! J’étais invité par des gamins soit à témoigner, soit à trancher dans leurs débats.

La confiance qu’ils me témoignaient m’honorait tant qu’il a fallu sans trop perdre de temps que je leur avoue certaines de mes incompétences face à leurs questionnements.

Et bien, OUI, car lorsque que l’on promène avec des enfants et qu’on les écoute, on se rend compte que leurs discussions tournent autour de questions comme :

 Est-ce mieux de voyager en vélo ou en voiture ?

 Le pétrole, c’est vraiment bien, mais dommage qu’il y ait tant de guerres à cause de lui.

 Est-ce possible de fabriquer une machine qui produise de l’oxygène ?

 Le déjeûner est-il le repas le plus important de la journée ?

 Les éoliennes commencent à se voir partout.

 Quels sont les critères pour dire qu’une maison est belle ou pas ?

 La maladie d’Alzheimer est terrible, mais peut-être pas pour celui qui en souffre.

 Pourquoi doit-on mourir ?

 A quoi servent les rêves ?

 D’où vient-on et où va-t-on ?

 Si j’étais dans le corps d’un autre, je me demande si je m’entendrais avec moi-même ?

Quel instit, dans ces conditions, oserait donner des réponses péremptoires ?

A force de les écouter et surtout de ne pas trop leur répondre, deux idées importantes me sont revenues :
La première, c’est qu’avec chaque enfant qui nait, l’Humanité est à ré-inventer. Car, lui, ne sait rien de ce dont l’Homme est capable. Autant tenter ensemble de lui montrer qu’il est capable du meilleur !

La seconde, c’est qu’à l’école, tout le monde y vit, les petits comme les grands. Et que c’est seulement à cette condition que l’on y apprend !

Car, franchement, que vaut 2+2=4 si on n’éprouve pas du bonheur à le découvrir puis, si on le désire, à le dire aux autres ?

Franchement ?

Franchement, vos enfants sont formidables !

A méditer.

JF Manil


 

Aujourd’hui, les droits des enfants.

 
Imaginez 50 enfants qui jouent, se déplacent, parlent en même temps avec le plus grand naturel du monde. Imaginez quelques adultes qui tentent de réguler ces jeux, déplacements, paroles avec le secret espoir d’être écoutés voire entendus.

Deux mondes parallèles se côtoient....Aucune passerelle entre les deux !

Et pourtant il faut trouver une solution. L’habituelle, celle traditionnellement employée, la menace, suivie de la punition pourrait fonctionner, il faut en convenir. Mais ce n’est pas celle qui permettra aux enfants de réfléchir ou au moins d’être conscients.

C’est Janusz Korczak, fabuleux pédagogue polonais qui nous a aidés. Il est déjà à l’origine de la boite à dispute (qui fera l’objet d’une petite causerie d’ici peu), mais surtout du texte fondateur des droits de l’enfant régulièrement évoqués dans l’actualité récente.

Nous avons réuni les enfants et les avons groupés par 5 ou 6. Chaque groupe a reçu un billet sur lequel était inscrit un des locaux de l’école. La tâche qui leur a été assignée était :

« Ecrivez les droits que vous avez dans le local désigné sur le billet ».

Etonnement dans les yeux !

Quelques propositions d’exemples fusent :

 Par exemple, on ne peut pas courir dans les escaliers !(Car les escaliers étaient inscrits sur un billet.)

 Non, non ! Ca c’est un devoir, pas un droit. En plus ce droit là, vous le prenez, même si vous savez que l’on ne peut pas le faire. Donc, c’est devenu un droit !

 ....

Qu’a-t-il donc derrière la tête aujourd’hui, Jean-François ? Simplement de faire du judo pédagogique. Au lieu de crier et de se fâcher (ce qui arrive parfois quand même...), il fallait trouver un moyen pour que la conscience soit éveillée et que peut-être des solutions soient proposées.

D’autre part, la lecture des écrits a vraisemblablement provoqué une découverte formidable : tous les droits que les enfants avaient partout dans l’école mais aussi les différences entre ceux-ci en fonction du lieu évoqué.
Et vous pouvez me croire, chacun de ceux-ci a été soumis à la critique et tous ont été approuvés.

JF Manil

Premier chapitre : le local bleu

Chapitres suivants : la cour, l’escalier, le bureau, la bibliothèque
 


Aujourd’hui : Et entre 8h et 8h30, que fait-on ?

Il est 8h20…

Mardi 22 février. Je suis dans le grand grenier, grande pièce déjà investie de mille manières par les enfants. Je suis là parce que hier, un enfant m’a dit : « Ca m’énerve de ne pas savoir écrire ! » Donc, dès le matin, nous écrivons. Nous utilisons des feuilles calques et un magnifique modèle de lettres écrites en minuscule. D’autres enfants arrivent, intrigués, et se lancent dans l’activité. Ils s’aident, comparent, discutent de l’intérêt de faire comme ceci ou comme cela.

Un papa, Benoit, entre en apportant le devoir au choix de son plus jeune gamin : un volcan en miniature. Il va présenter une expérience devant tous les autres.

Le papa en profite pour me parler de quelque chose qui le tracasse ; à savoir l’orthographe de son fils aîné quand il communique via internet avec ses copains. Nous parlons quelques minutes du sujet en descendant au rez de chaussée. Je veux évoquer sa question, légitime, avec son fils.Je n’ai aucune crainte car je sais que le bonhomme fait la différence et d’ailleurs, il en témoigne.

Sur l’entre-fait une enfant vient m’annoncer qu’elle sait ce qu’elle fera plus tard : dresseuse de chevaux ! Je lui témoigne tout mon intérêt pour cette profession sûrement très intéressante.

En descendant, on passe par la bibliothèque. 5 enfants d’âges différents sont autour d’un livre. Aucun ne relève la tête. Et nous, nous nous faisons de plus en plus discrets.

Tu as vu ?, dis-je à Benoit.

Super chouette ! Et en plus ils sont mélangés et tout est calme !

C’est vrai, étonnant et super chouette à la fois de voir des enfants d’âges très différents affairés à la même tâche.

Super chouette que le début de journée se passe comme cela, calme, détendu.

Etonnant qu’ils ne soient pas tous dans une cour en béton avec leur seul corps pour jouer.

Super chouette que des parents puissent voir cela.

Etonnant et super chouette…

Il est 8h37.

Dites, Monsieur, les cours ne commencent-ils pas à 8h30 ?

Si, pourquoi ?

A méditer

Jean-François Manil


Aujourd’hui, les traces.

Lors du souper de ce samedi 30 janvier, nombre de parents ont pu apprécier les poésies rédigées par les enfants. Attentifs, ils auront remarqué que tous les âges étaient représentés et que les calligraphies étaient plus ou moins hésitantes selon l’âge des enfants. Les plus belles écritures n’ont pas été choisies. Les plus belles écritures ont été sollicitées chez chacun ! Nuance d’importance !

Ils auront pu aussi remarquer que les productions d’enfants absents étaient affichées.

Lorsque nous avons proposé cette activité, un certain nombre d’enfants ont répondu que cela ne les concernait pas, puisqu’ils ne viendraient pas au souper. Au fond, ils avaient raison et nous indiquaient qu’un des grands principes que nous tentons de mettre en oeuvre-à savoir écrire pour de vrai-était bien présent à leur conscience.

En revanche, quand nous leur avons annoncé qu’ils devraient signer leur poésie et que, de la sorte, les adultes présents au souper le découvriraient parmi les autres, l’attitude a radicalement changé.

Les enfants ont besoin de laisser des traces, de savoir qu’ils sont là,... même quand ils sont absents.

Laisser son prénom sous une poésie participe au besoin de reconnaissance et d’investissement dont chaque enfant se nourrit pour construire une identité solide. Un autre besoin important se trouvait aussi rencontré, celui d’attachement. Ce qui comptait, n’était pas d’être présent au souper, ce qui l’était vraiment c’était d’être reconnu comme « attaché » à la Maison des Enfants part le biais d’une trace écrite.

En 1999, une élève, Flora, avait écrit : « Nous sommes des traces. Des traces d’hommes. Des traces à protéger. » A méditer.

JF Manil


Charles écrit.

Aujourd’hui, je n’écrirai pas ! Je vous livre une lettre que Charles vient d’adresser à une personne s’intéressant à l’école. C’est vraiment une petite causerie pédagogique !

A méditer !

Madame,
 
J’ai lu avec intérêt votre lettre où transparaît un légitime souci de clarification au sujet de La Maison des Enfants.


Un récent écho optimiste m’est parvenu hier : tous les élèves de dernière année du cycle primaire de Buzet ont réussi l’examen externe dit du CEB. J’ajoute que tous ont vécu pendant des années la créativité et la solidarité, ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’enfants de 12 ans dans notre pays. Je regrette donc ce machin qui ne nous apprend rien et place nos élèves soudain dans l’individualisme, le malaise.
Plusieurs travaux universitaires ont analysé le parcours des anciens élèves. Il en ressort que l’adaptation au secondaire se passe très bien après parfois une lente et pénible adaptation aux exigences de professeurs centrés sur la mémorisation des formules et des nomenclatures formelles. Les qualités remarquées sont essentielles pour une citoyenneté utile au Futur : confiance en soi et surtout dans les autres, une bonne estime de ses capacité, un goût prononcé pour la recherche fraternelle, la non compétition, l’habitude à s’organiser et à prendre des initiatives en toute liberté,
J’ai inspecté les écoles pendant 18 ans avant de fonder Buzet. Là, j’ai rencontré des enseignants souvent hors de la réalité parce qu’ils exigeaient davantage que ce que prévoient les programmes et le fameux Décret Missions.
 
Il va sans dire que l’éducation familiale qui pousse l’enfants aux initiatives, aux rencontres, aux prises de risque mesurées, au partage, aux loisirs simples, est déterminante. L’école a pour mission d’ouvrir d’abord à la culture et de faire des caractères forts, aptes à affronter les changements et les obstacles ; elle n’a pas comme souci, à Buzet, de pré/parer , mais de vivre une enfance sans stress, tournée vers le service des autres, détournée des mirages de la consommation et des récompenses scolaires.
 
Vous êtes devant un choix, donc vous n’aurez pas le beurre et l’argent du beurre.
A Buzet, vous serez au contact avec une autre façon d’apprendre, donc vous ne pourrez pas comparer les acquis scolaires par rapport à une école traditionnelle. Quant à l’intégration dans un mouvement de jeunesse, je suis persuadé qu’il sera plus facile sauf s’il s’agit d’ un organisme qui prône la compétition, l’élimination des réputés faibles.
 
Je reste à votre disposition pour toute réflexion supplémentaire.
Au plaisir de vous lire.
 
Charles Pepinster


Quand on va au bois.

Quand on va au bois, bien sûr, on va se promener. Mais on parle aussi ; on parle de manière privilégiée en marchant ou en étant appuyé le dos à un arbre. Très souvent, c’est de l’école dont on parle, ou de l’avenir, de l’après école, car il fait un peu peur.

Bien sûr, on va se promener. Mais on construit des cabanes aussi ; on construit des cabanes, mais on ne joue pas vraiment. On travaille, on s’organise, on se dispute, on part fâché puis on revient avec "un beau bois à mettre". Le plus étonnant, c’est la ténacité dont font preuve les enfants. 10 fois le bois tombe, 10 fois on va essayer de le faire tenir.

Bien sûr, on va se promener. Mais on observe tout ce qui pousse, tout ce qui vit, et on apprend à ne pas l’abîmer. Cet orvet par exemple, qui a provoqué une discussion autour de la liberté. Comment faire des observations scientifiques si on ne l’enferme pas ? Et si on l’enferme, comment faut-il le nourrir ? La solution est vite trouvée : on va regarder dans les livres pour la nourriture, on ira le promener tous les jours et on le relachera après deux semaines.

Bien sûr, on va se promener. mais on cueille des fleurs parce qu’on va les offrir à maman, à papa, ou...à celle ou celui qu’on aime. Parce que bien sûr on va se promener et parfois même, on se tient par la main...

A méditer

JF Manil

Ndr : Au sujet de l’orvet, le problème est réglé ! Il s’est enfui du vivarium... dans l’école évidemment.


Aujourd’hui : 100.000 sacrifiés.

Le jeudi 4 février 2010, la première page du journal Vers l’Avenir titrait : « 100.000 sacrifiés par an ». On aurait pu croire à un titre accrocheur annonçant un papier lucide au sujet de l’horreur haïtienne. On aurait pu croire à un titre accrocheur annonçant un papier non moins lucide au sujet des personnes licenciées de leur emploi au nom du rendement.

Non. Il s’agissait d’un papier sur ces élèves que l’on fait doubler, que l’on renvoie ou abandonne.

100.000 par an ! 2000 fois les élèves de la Maison des Enfants ! Cela chaque année !

C’est interpellant, mais à bien y réfléchir, la catastrophe était aussi annoncée, d’autant qu’elle se répète d’année en année ; à bien y réfléchir, le sacrifice se fait aussi sur l’autel du rendement ; rendement scolaire qui, à mon sens, n’a pas droit de cité au sein d’une zone neutre. Je pense en effet qu’il faut organiser une zone neutre, pour accueillir, faire grandir, rendre plus intelligent. Zone qui permette de se hâter avec lenteur (festina lente), qui permette d’apprendre en se plantant (c’est comme cela que l’on construit ses racines), qui permette de monter aux arbres dans le talus ou au bois (c’est comme cela que l’on peut trouver sa branche), bref, qui permette à des enfants de vivre et d’apprendre ensemble sans la peur de l’exclusion ou de la blessure.

En revanche, je ne crois pas que le sacrifice de 100.000 enfants augmente de quelque façon le bonheur général d’une société. Je crois plutôt que ces « sacrifiés » ont droit de cité dans cette zone neutre. Voilà pourquoi nous voulons que des enfants qui ont vécu cette situation parfois tragique puissent en côtoyer d’autres qui ont échappé à cette catastrophe. Voilà aussi pourquoi nous tentons de supprimer toutes les formes de compétition scolaire entre enfants, dans les limites que certaines lois imposent à notre grand dam. J’ajouterai que ce brassage d’enfants ne fait que correspondre aux réalités de la vie avec toutefois une qualité supplémentaire : la rencontre de l’autre y est organisée et souhaitée. Et puis, n’oublions pas, le futur ministre de l’enseignement se trouve aujourd’hui dans une classe….S’il est aujourd’hui à la Maison des Enfants, je préfère qu’il se souvienne d’une école où l’on se serrait les coudes plutôt que d’une où l’on jouait des coudes.

A méditer.

JF Manil