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Non, Sire !
Article mis en ligne le 3 août 2009

Oui, Sire, vous avez adopté la formule juste en rappelant, dans votre discours du 21 juillet, que l’économie devrait être au service de l’homme. Nous en sommes tellement loin.

Oui, Sire, vous avez très à propos souligné le fossé énorme qui sépare les principales victimes de la crise - celles et ceux qui perdent leur emploi - de certains cadres dont les rémunérations indécentes et les parachutes toujours dorés crient vengeance.

Oui, Sire, je ne peux que vous suivre quand vous plaidez pour les valeurs de "solidarité, convivialité, respect de l’autre".

Mais quelle cruelle déception quand vous réclamez un enseignement de qualité … dont le seul objectif mentionné serait de contribuer à "la reprise économique prochaine". Que la formation professionnelle des adultes soit réorientée vers les technologies du futur, bien d’accord. Mais l’enseignement obligatoire a d’autres missions.

Non, Sire !

Parler de l’enseignement, sans mettre les dimensions humaines au premier rang, c’est mettre nos concitoyens sur une voie dangereuse. Car, la solidarité et le respect de l’autre que vous prônez, cela s’apprend. La famille et l’école doivent jouer un rôle prépondérant dans ces apprentissages. Et, dans la société d’aujourd’hui, sur le marché scolaire, vivre ces valeurs au quotidien, c’est vivre à contre-courant. C’est souvent adopter des comportements en rupture avec les lois de l’économie capitaliste !

Au contraire, donner comme cap à l’enseignement de maintenir à tout prix la Belgique dans le peloton de tête des pays industrialisés, c’est s’engager davantage encore dans une logique de concurrence impitoyable dont on connaît les premières victimes chez nous et dans les pays du Sud : les pauvres.

Un enseignement de qualité doit certes développer le goût d’entreprendre, des compétences en sciences et en langues, une curiosité et une inventivité technologique. Mais cet enseignement doit plus encore aider les jeunes à discerner les urgences. Celles-ci sont aujourd’hui de l’ordre de l’humain et des solidarités : éveiller au goût du bien commun, au sens du service à la collectivité, au refus des violences et des exclusions.

Pourquoi y a-t-il chez nous pénuries d’infirmières et d’enseignant(e)s ?
Pourquoi y a-t-il un manque cruel de place d’accueil de la petite enfance ?
Pourquoi tant de personnes âgées vivent-elles dans la solitude ou la maltraitance ? Pourquoi les petits agriculteurs sont-ils broyés par la PAC ?
Pourquoi tant de violences sur nos écrans et dans la compétition quotidienne pour avoir la meilleure place ? Pourquoi si peu d’émotion et de mobilisation quand on sait qu’un enfant de moins de 10 ans meurt de faim toutes les 5 secondes dans les pays pauvres ? Pourquoi ?

Parce que, dans nos écoles, nous n’avons pas appris et n’apprenons pas à analyser les ravages causés par les "lois" des économies des pays "du peloton de tête", comme vous dites. Parce que nous n’apprenons pas à découvrir les chemins de traverse qui pourraient déboucher sur des alternatives au désordre établi. Parce que nous ne donnons pas aux jeunes assez d’occasions de vivre au quotidien les joies d’apprentissages solidaires.

Jacques Liesenborghs, ancien sénateur, auteur de "Ecoles : notre affaire à tous – Eduquer pour demain", Couleur Livres, 2008