Bandeau
GBEN
Slogan du site

Le site du Groupe belge d’Education nouvelle.

Blanchiment à l’école
Article mis en ligne le 30 juin 2016
dernière modification le 23 juillet 2016

Des jours pour apprendre qui passent au bleu et qui s’appellent des jours blancs.

A la reconquête du temps perdu

Chronique d’une chronophagie chronique

La chasse aux ‘gaspis’ épargne l’école, c’est dommage.
Pourtant, le pain ne manque pas sur la planche.
Sans parler de la sous stimulation des 86 milliards de neurones de chaque élève souvent englués dans l’ennui/perte de temps, envisageons simplement le galvaudage institutionnel du temps scolaire. Ce système qui détourne les moments faits pour apprendre pour se centrer sur un temps fait de révisions, de contrôles chiffrés des connaissances et de redoublements.

(Nous verrons que d’autres facteurs augmentent le débit des jours vides d’apprentissages.)

Faisons d’abord un calcul simple pour éclairer la question de la déperdition pédagogique annuelle.

Une année compte 180 jours de classe. Mais 30 journées sont perdues (c’est une estimation basse et nous verrons comment elle s’établit), pendant chacune des 12 années du primaire et du secondaire, en moyenne ; cela fait 12x30 jours =360 jours, soit 2 années scolaires de 180 jours pour les élèves de 6 à 18 ans. Deux années évaporées sans que presque personne ne s’en émeuve, dissoutes donc dans les révisions des matières vues afin de préparer les élèves aux examens, les examens eux-mêmes ainsi que les onéreux redoublements. Certes les redoublements ‘dérangent’, surtout parce qu’ils coûtent cher (+/- 400.000 euros/an en Belgique francophone), mais les deux autres facteurs - révisions et examens chiffrés - pourtant générateurs d’années répétées par le temps qu’ils font perdre, sont totalement ignorés. Ils sont même surprotégés.

Oui, on tient à cette chronophagie chronique que constituent les révisions et les examens au rythme des saisons. C’est vrai, les professeurs passent chaque année environ 30 journées, ‘ouvrables’ au sens étymologique du terme, à ne pas faire apprendre, cela à la faveur des examens /viagra et leur cortège : délibérations des profs qui ne donnent plus cours, proclamation, jours ‘blancs’ où on déserte l’école puisque les examens sont finis…sans parler des interrogations écrites ou orales rituelles en début de cours, quasi quotidiennement, surtout dans l’enseignement secondaire, (dont la rentrée ne se fait pas le 1er septembre comme en primaire mais plus tard , sans sourciller, car examens de passage…). A noter aussi l’absentéisme fréquent, anormalement élevé, signe d’un mal/vivre, chez les professeurss pour des raisons souvent psychosomatiques ce qui met les élèves en roue libre ; cette situation est aggravée par le manque de professeurs/remplaçants dans certaines disciplines. La déperdition connaît donc plusieurs sources.

Mais la principale mangeuse de temps d’apprendre, l’évaluationnite, n’est pourtant pas imposée par des textes légaux, mais elle subsiste voire se renforce, elle se transmet même. Ainsi, tout jeune prof qui entre en fonction retrouve-t-il vite le carcan qu’il a lui-même porté récemment… et il est prêt à en affubler ses premiers élèves, sans bien réaliser peut-être qu’il reproduit les bases de la société individualiste, avide de rendements calibrés, de concurrence, d’exclusion, de spéculation (étudier ce qui rapporte le plus de points/fausse monnaie) bref, de consommation et de cupidité.

Prépare-t-il consciencieusement ses questions de contrôle des connaissances… qu’il a déjà mis le doigt dans l’engrenage, il est dévoreur de temps. Voyons cela de plus près.
Ces examens sont généralement précédés de périodes dites de ‘révisions’ qui grèvent plus ou moins l’horaire. Pensons à la frénésie du bachotage/révisions qui envahit les écoles à l’approche des examens externes… validant, justifiant, renforçant eux-mêmes les contrôles rituels en amont ; il faut bien habituer les élèves aux gros contrôles de fin d’année, n’est-ce pas, par des questionnaires partiels chroniques à Noël, Pâques ou Trinité…c’est pour leur bien tout de même.
Mais les moments de révision ne seraient-ils pas assimilables à des périodes de réels apprentissages ?

On pourrait affirmer qu’ils sont largement inutiles pour les élèves qui ont compris et retenu les notions enseignées antérieurement et peu avantageux pour ceux qui traînent la patte. En effet, comme j’ai maintes fois pu le constater durant 18 ans d’inspection des écoles, ces séances sont généralement collectives et frontales…ce qui amène les meilleurs élèves à ‘manger la tartine’ des traîne-savates, des dilettantes, des phobiques scolaires. Quand le prof/réviseur interroge oralement pendant ces séances d’accouchement des esprits, qui donc lève le doigt en premier et produit les réponses satisfaisantes ?

Souvenons-nous du temps où nous étions sur les bancs : les élèves reconnus, ceux qui savent déjà, demandent beaucoup plus souvent à répondre aux questions du professeur (largement utilisateur de la méthode socratique pour réviser). Les ‘forts’, comme on appelle les élèves qui ont la culture de l’école, sont plus souvent sollicités que les autres pour donner LA réponse qui comble le professeur. Ces ‘autres’ se sentent à nouveau coulés ; la honte de ne pas trouver vite les submerge, l’idée fataliste je ne suis pas capable s’ancre. Puisqu’ils ne sont pas sûrs de bien répondre, ils se replient, ils ont peur, le dégoût est là. Leur esprit n’est plus libre pour chercher vu qu’il est envahi, obscurci, voire paralysé par l’anxiété, la mésestime de soi, la crainte d’être interrogé par surprise, la panique d’être envoyé à la planche, seul.

Le professeur, de son côté, croit agir pour le bien de tous mais en refaisant habituellement son enseignement de la même façon que la première fois (comme lors des leçons particulières). Les cancres le découragent et ceux-ci se sentent indignes en décevant quelqu’un qui pense honnêtement leur donner une seconde chance. Le maître et ses lève-nez (1/5 voire 1/4 de la classe) s’enferment ainsi dans un cercle douloureux. L’institution alors, sans chercher malice, impute tout naturellement les échecs aux élèves ‘pour qui on fait tout’. Dans cette situation, un professeur disait même : J’ai l’impression de donner des perles aux pourceaux , sans se rendre compte de ses propres carences, de son incapacité habituelle à passionner les élèves dans des recherches toujours renouvelées, là où le chantage de la note est inutile, là où l’immense capacité de chacun (un suréquipement en neurones qui nous rend tous capables d’apprendre n’importe laquelle des 6000 langues du monde) serait sollicitée de manière sereine, créative et solidaire.

Exemple : au lieu de répéter, répéter : « 6x7=42 » pour parfois l’oublier, il est préférable de faire découvrir que c’est aussi 21+21, en faisant découper par chacun, en interaction dans des groupes, toutes les façons de recouvrir exactement un rectangle de papier quadrillé de 6 sur 7 avec 2 rectangles. Dans une autre séance, une variation : « …avec trois rectangles » visera à approfondir l’apprentissage. Chaque groupe affiche en grand ses trouvailles afin de pouvoir partager avec les groupes voisins : 6x7= (2x7)+(4x7) = (3x7)+(3x7)= (1x7)+(5x7) etc. », ceci pour s’approprier la distributivité dans la multiplication, monter donc à l’abstraction généralisante essentielle pour la compréhension profonde.

C’est pendant l’auto-socio-construction du savoir que le professeur repère les carences pour adapter ses consignes de recherche, les rendre favorables à la réussite de tous…et non après ! (pour des points…)

Cette façon de procéder, sans jugement, donc avec le droit à l’erreur, pourrait s’appliquer aux autres branches comme les langues maternelle et étrangère, les sciences, l’histoire…ce qui constituerait pour tous (‘forts’ et ‘faibles’) des variations, des relances appelées différenciation ; celle-ci n’a rien à voir avec l’individualisation qui est parfois le succédané de la sélection si présent dans les moments de révision comme lors des leçons habituelles. Cela développerait l’entraide, approfondirait la connaissance visée maladroitement par les ‘applications’ individuelles répétitives, monotones et remplacerait les lassantes redites.

Après les révisions, traditionnelles le plus souvent, (révérence faite aux rares exceptions), viennent les examens où apprendre du nouveau n’existe évidemment pas. Au gaspillage de temps évoqué, s’ajoute, répétons-le, la perte d’années entières par le système des redoublements. Fameuse déperdition.
Si donc on éradiquait ces trois pratiques/gaspis (révisions, examens notés, redoublements) ne reposant que sur des habitudes liées au dogmatisme et à l’exclusion, on gagnerait ainsi deux ans, chaque élève disposerait dorénavant de 14 années scolaires en 12 ans. A l’aise, comme dans des pays scandinaves.
C’en serait fini des redoublements chroniques ( l’article « Comme un fruit mûr » (www.gben.be) montre un système Education Nouvelle qui guérit l’école de ce chancre, une école, à Buzet, sans redoublements depuis 24 ans) sans qu’il y ait besoin d’interdire cette pratique par des textes législatifs souvent ressentis par beaucoup de professeurs comme des entraves à leur ‘liberté’, des illusions de fumistes, des idées de technocrates ‘d’en-haut’ qui ne connaissent pas les réalités du terrain.

Rendre opératoire la pensée du philosophe et épistémologue Gaston Bachelard (1884/1962) : « Tout apprentissage solide se nourrit de lenteur », ce serait bien, non ? Faire 14 années en 12 (en douce), oui.
Enfin il est ainsi possible d’opérer sans heurt une franche révolution éducative, ceci en commençant par reconquérir, pour mieux l’utiliser, du temps pour apprendre, du temps perdu.

Oui, ce serait vraiment bien de pouvoir écrire la chronique d’une chronophilie chronique.
 - Mais supprimer les révisions, les examens notés, les redoublements vous n’y pensez pas !
Si, je l’ai fait à Buzet/Floreffe en Belgique dès 1992 ; d’autres le font, c’est légal et ça marche du tonnerre : on continue des apprentissages savoureux jusqu’au 30 juin, fin de l’année scolaire…ce qui n’est que normal, civique même … et ça rend heureux élèves, parents et professeurs rarement malades. Incroyable. Vrai.

Le bonheur de faire apprendre est donc à portée de main pour qui le veut, avec d’autres, sans bourse délier.

Une idée constructive (tant mieux si elle paraît utopique) qui pourrait intéresser le Ministère de l’Education et d’autres échelons de décision

Ce qui manque le plus dans l’école, c’est l’art et la science de faire apprendre ; la didactique et ses lois de l’apprentissage sont largement ignorées par des enseignants, réputés pourtant être des professionnels*, comme j’ai pu le remarquer dans les classes inspectées pendant près de 20 ans.

Il se constate une chose navrante : plus l’âge des apprenants est élevé, plus la carence pédagogique des enseignants est patente. Ainsi, en maternelle, rares sont les institutrices qui n’intéressent pas les enfants afin d’engager leur énergie et de sauvegarder leur soif d’apprendre… mais en revanche, rares sont les profs du supérieur soucieux de faire apprendre en créativité et solidarité ; certains font même le travail à rebours en décourageant leur public en amphi : « Regardez votre voisin de gauche et celui de droite, un seul de vous trois va réussir… », ceci impunément, pour la gloriole. Par bêtise ? Par cynisme ?

Ce dont tous les enseignants ont besoin, c’est bien d’une formation à l’acte d’apprendre en vue de former des citoyens inventifs et coopérants, une formation à l’Education du Futur indispensable vu la menace de tragédies à l’horizon, vu l’utilité de chacun dans la construction d’un monde meilleur.

Ainsi donc, au lieu de faire des comptes d’apothicaire en pesant le cochon au lieu de le nourrir, chaque prof bénéficierait chaque année de 30 (oui, trente) jours de formation… tout simplement en cessant de perdre son temps à mesurer comme dénoncé dans cette chronique d’une chronophagie chronique.

Lors de cette formation, les avancées des uns profiteraient aux autres, l’expertise de quelques-uns profiterait à tous. Une vaste campagne de recrutement de hardis mentors se ferait parmi les professeurs, les animateurs progressistes, les psychiatres, les sociologues, les psychologues, les gens du spectacle…

Ceci ne coûterait presque rien et pourrait rapporter gros ; les élèves seraient de toute façon en congé d’apprentissages pendant 30 jours par an - comme maintenant, faut-il le répéter : jours blancs scandaleux, examens chroniques, interros ternes mais stressantes, révisions/rustines, corrections et notations arbitraires, proclamations des ‘performances’ chiffrées hiérarchisantes (chaque semaine dans certaines classes) - ce qui ne serait dommage pour personne mais un soulagement pour tout le monde.

* Admettrait-on, qu’un biologiste délaisse tout protocole de recherche, qu’un chef coq présente toujours le même menu, qu’un musicien joue faux, qu’un comique ne fasse pas rire ?

Une référence

« Les examens, considérés comme des événements importants qui rythment la succession des trimestres, y tiennent une place démesurée.
Charles Pepinster, du GBEN, a calculé que, compte tenu de leur préparation et de leur correction, ils représentent une durée de deux années sur les douze des études primaires et secondaires.
Ce sont deux années inutilement consacrées non à aider les élèves, à les faire progresser mais à les juger, les sélectionner, les exclure ».
Albert JACQUARD, Mon utopie, Paris, Stock, 2006, p.183.

Je voudrais changer les couleurs du temps, changer les couleurs du monde*… avec vous.

Ch.P. pepinstercharles chez yahoo.be
* Guy Béard

www.panote.org
www.lamaisondesenfants.be